ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – désespérément seul !

Né le 28 novembre 1894, Désiré FROISSART est le fils d’Elisée et d’Amélina FROISSART.

Elisée est né au hameau de Fontaine à Pargny et Amélina à Voyennes, deux villages de la vallée de la Haute-Somme situés dans le canton de Nesle.

Elisée et Joseph se marient le 24 octobre 1885 à Voyennes. Ce village est situé de part et d’autre du fleuve Somme. Son chef-lieu est sur la rive gauche et le hameau de Buny sur la rive droite. C’est dans cette commune que le jeune couple s’installe. Edmond naît en 1886, Louis en 1889 et Désiré en 1894. La fratrie est complétée quelques années plus tard par l’arrivée de deux filles, Raymonde et Germaine.

Elisée est ouvrier agricole. La famille réside rue de Bas à Voyennes.

L’activité de la petite commune de 850 habitants est presque essentiellement agricole. Le Canal de la Somme et les deux lignes de chemin de fer traversant le territoire de Voyennes, permettent d’exporter facilement les céréales et les betteraves. Les habitants du hameau de Buny pratiquent surtout la culture maraîchère, tandis que ceux du chef-lieu exploitent les terres destinées à la culture du blé, de l’orge, de l’avoine, du seigle, des pommes de terre et des betteraves à sucre.

Les garçons FROISSART ne sont pas des élèves très assidus à l’école primaire du village mais, avant même qu’ils n’aient l’âge de pouvoir quitter l’école, ils connaissent déjà les moindres recoins du territoire et ont déjà apporté leur aide dans de nombreuses fermes de la commune. Leur vie est rude mais paisible, en parfaite communion avec la nature.

Le 1er août 1914, l’Ordre de Mobilisation générale est décrété. Paul SOUPLY, le garde champêtre, annonce la nouvelle dans toutes les rues du village. Les hommes des classes d’âge de 1896 à 1910 doivent se préparer à quitter leurs familles. Les plus jeunes d’entre eux, qui ont effectué leur service militaire depuis moins de 8 ans, partent dès le lendemain. Les autres suivent quelques jours plus tard. A la mi-août, il n’y a plus d’hommes âgés de 21 à 38 ans dans le village. Seuls quelques rares individus ayant été exemptés du service militaire pour cause médicale lourde ne sont pas mobilisés. Quant aux jeunes hommes qui n’ont pas encore atteint l’âge de 20 ans, ils doivent attendre une convocation.

Désiré a 19 ans.

Le 26 août, le facteur vient lui remettre un télégramme. Désiré FROISSART doit se rendre au dépôt du 120e Régiment d’Infanterie qui vient d’être transféré de Péronne à Ancenis en Loire-Inférieure. En effet, à la suite du terrible échec de la Bataille des Frontières le 22 août, tous les départements dans lesquels l’arrivée des troupes allemandes ne fait aucun doute, voient leurs installations militaires transférées de l’est de la Somme vers l’ouest de la France. Les Allemands arrivent effectivement dans le département de la Somme dès la fin du mois d’août 1914. Le village de Voyennes sera occupé pendant près de trois années.

Examiné par les médecins militaires à Ancenis, Désiré est jugé apte au service armé. Il doit maintenant suivre une instruction militaire de plusieurs mois avant d’être envoyé sur les champs de bataille.

Plusieurs jeunes du village nés comme lui en 1894 ont été appelés. Seul Jules FRANQUELIN est affecté également au 120e RI. Les deux copains de Voyennes débutent leur formation dans les premiers jours de septembre 1914.

La famille de Jules réside dans la rue de Haut à Voyennes. Son père est cantonnier aux Ponts et Chaussées. Jules a deux frères, Fernand et Stéphane. L’aîné, Fernand, était déjà au service militaire quand la guerre a été déclarée. Il n’est pas revenu embrasser les siens et n’a donné aucune nouvelle depuis le début de la guerre. Jules espère que tout va bien pour ce frère dont il se sent si proche…

Les deux copains parlent souvent de Voyennes. Ils aiment se retrouver pour discuter et évoquer les souvenirs de jeunesse. Ils racontent des histoires du village et de ses habitants dont ils ont partagé la vie pendant vingt ans. Voyennes est dans leur cœur pour toujours.

Si l’angoisse de partir au front est bien présente – d’autant plus que les informations qui commencent à circuler entre les murs de la caserne ne sont pas des plus rassurantes – elle est considérablement atténuée par la certitude de retrouver d’autres copains de Voyennes. Cinq garçons du village effectuaient leur service militaire au 120e RI quand la guerre a débuté. Il y a Frédéric COUTANT, Roger FROISSART, Henri LAOUT de la rue de Haut, Georges GOBET de la rue des Archers et Cléophas FROISSART du hameau de Buny.

Désiré et Jules les connaissent tous très bien. Ils ont vécu toute leur scolarité ensemble dans la classe d’Henri PLIN l’instituteur public et ont partagé de très nombreux moments d’enfance. Il y a aussi Eugène LECOT, bien qu’originaire de Pargny, village distant de Voyennes d’à peine sept kilomètres, il travaille depuis plusieurs années dans une ferme du village où il est logé et nourri. Il est maintenant considéré comme un gars du village ! Le 120e est un régiment de copains dont la majorité est originaire de la Somme et des Ardennes. Les jeunes envoyés dans les premiers combats de la Grande Guerre partageaient le quotidien de la caserne depuis de nombreux mois.

Trois autres jeunes hommes, à peine plus âgés, ont rejoint le 120e dès le 2 août 1914. Gaston VASSEUR de la rue d’Offoy, Gaston POITEAUX de la rue des Archers et Julien DUBUFFET, enfant du village qui est installé depuis deux ou trois ans à Rouy-le-Grand, commune voisine de Voyennes.

Tous ces hommes âgés de 21 à 25 ans sont dans la force de l’âge. Ils exercent tous des métiers manuels. Ils sont ouvriers agricoles, domestiques de ferme, manouvriers, terrassiers, à l’exception de Frédéric COUTANT qui est apprenti chez Abel SECRET, le boulanger du village. Leur affectation dans un régiment d’infanterie n’est donc pas une surprise. Les agents des bureaux de recrutement de l’armée priorisent les solides gaillards de la campagne pour garnir les rangs des régiments d’infanterie.

Le 11 novembre 1914, ayant terminé sa formation militaire, Désiré FROISSART est envoyé au front. Jules FRANQUELIN est maintenu au dépôt pour quelques semaines encore.

Désiré FROISSART est envoyé en Argonne, près de Vienne-le-Château, où les hommes du 120e tentent désespérément de reprendre du terrain aux Allemands depuis la mi-septembre. La guerre de tranchées dans le Bois de la Gruerie est un enfer. Dès les premières heures sur place, Désiré constate que la réalité est encore bien pire que tout ce qu’il avait pu imaginer.

Désiré n’espérait pas qu’un comité d’accueil voyennois vienne à sa rencontre – le régiment compte près de 3 000 hommes – mais il s’attendait à croiser un visage connu assez rapidement. A Ancenis, Jules et lui n’avaient pas cessé de parler des neuf garçons de Voyennes. Ils avaient même plaisanté en disant qu’à leur arrivée, ils constitueraient une équipe de football…

Dans les premières heures, dans les premiers jours, Désiré ne voit aucun de ses copains. Le premier repli à l’arrière des tranchées lui permettra d’obtenir des informations. Où sont donc les copains de Voyennes ? En attendant, les combats sont particulièrement meurtriers. Sans le moindre gain de terrain sur l’adversaire…

Quelques jours plus tard, Désiré FROISSART retrouve Gaston POITEAUX, le fils du maréchal-ferrant de la rue des Archers. Gaston a 24 ans. Il en paraît vingt de plus ! Gaston lui parle des copains de Voyennes. Son ton est grave. Il évoque la terrible bataille de Bellefontaine en Belgique, dans laquelle le régiment a été décimé. Plus de 1 000 hommes manquaient à l’appel le soir du 22 août.  Trois copains de Voyennes ont disparu, Roger FROISSART, Henri LAOUT et Eugène LECOT. Il raconte la Bataille de la Marne dans le secteur de Sermaize-les-Bains où Frédéric COUTANT, le boulanger, a été blessé par balle. Et puis, il évoque l’enfer du Bois de la Gruerie. Gaston VASSEUR a disparu dès les premiers combats. Georges GOBERT a été évacué pour blessure en octobre. Cléophas FROISSART est considéré comme disparu depuis le début novembre. Julien DUBUFFET vient d’être évacué vers l’ambulance du 2e Corps d’Armée. Son état laisse peu d’espoir… Les combats n’ont débuté que depuis trois mois. Sur les neuf jeunes hommes de Voyennes qui ont débuté la guerre au 120e Régiment d’Infanterie, Gaston POITEAUX est le seul qui soit encore en état de combattre…  Elle est bien triste l’équipe de football tant rêvée !

Quelques semaines plus tard, Gaston POITEAUX reçoit une balle au niveau du cou. Il est évacué dans un hôpital de l’arrière.

Désiré FROISSART se sent seul. Désespérément seul.

Otto Dix (coll. Historial de Péronne)

Le 2 mars 1915, Désiré est blessé au bras droit « alors qu’il se portait résolument à l’assaut » des tranchées ennemies dans le secteur de Mesnil-les-Hurlus. La blessure est grave. La prise en charge par les services médicaux ne permet pas d’éviter l’amputation. La guerre de Désiré FROISSART est terminée. Il a 20 ans.

Le 11 mars 1915, Jules FRANQUELIN est envoyé au front. Il ne rejoint pas le 120e RI. Il est affecté au 409e Régiment d’Infanterie. Il n’y connaît personne mais qu’importe. La guerre des tranchées n’est plus celle des régiments de copains. Un an plus tard, le 8 mars 1916, Jules FRANQUELIN perd la vie à Vaux-devant-Damloup près de Verdun. Il avait 21 ans.

Jules FRANQUELIN est mort et Désiré FROISSART n’a plus de bras droit.

La guerre a totalement bouleversé la vie de la commune de Voyennes. Le village a été détruit en partie, les civils qui n’ont pas réussi à fuir ont subi la captivité et la génération des jeunes hommes âgés de 20 à 25 ans a été décimée.

Tous ceux qui ont été considérés comme « disparus » ne sont pas morts pendant la guerre mais tous les rescapés ont conservé de profondes séquelles des épreuves subies.

Quel a été le sort des neuf copains de Voyennes ayant débuté la guerre avec le 120e Régiment d’Infanterie ?

Roger FROISSART est mort à Bellefontaine le 22 août 1914. Henri LAOUT et Eugène LECOT n’y sont pas morts. Capturés par les Allemands, ils ont été rapatriés le 19 décembre 1918 et le 13 janvier 1919. Leur état de santé n’était pas bon. Henri est revenu vivre à Voyennes. Eugène n’est pas allé bien loin. Il s’est installé à Pertain, près de Chaulnes, où il est décédé le 24 décembre 1935.

La blessure à la main de Frédéric COUTANT pendant la Bataille de la Marne n’était pas des plus graves. Pourtant, Frédéric n’a plus jamais combattu. Réformé N°2 par la Commission d’Ancenis, il a été jugé inapte pour « aliénation mentale ». L’Armée suspectant vraisemblablement une simulation, elle a convoqué Frédéric à se présenter le 21 octobre 1916 au dépôt du 120e à Ancenis. La Commission de Réforme réunie le 3 novembre a confirmé l’aliénation mentale. Ce diagnostic a été confirmé à plusieurs reprises y compris bien après la fin de la guerre. Les médecins notaient des « crises d’excitation maniaque s’accompagnant de réactions dangereuses chez un débile mental, stigmates de dégénérescence »… Et pourtant, avant de vivre les combats du 8 septembre 1914 à Sermaize-les-Bains, Frédéric, le boulanger de Voyennes, n’était pas fou. Frédéric s’est éteint le 24 septembre 1926 à Voyennes sans jamais avoir retrouvé la paix intérieure.

Plusieurs copains de Voyennes reposent pour toujours en Argonne, non loin du si terrible Bois de la Gruerie.

Gaston VASSEUR y est mort le 16 septembre 1914. L’administration militaire a déclaré que Cléophas FROISSART y avait disparu « entre le 7 et le 26 novembre 1914 ». Julien DUBUFFET y a été blessé gravement. Il a succombé à ses blessures le 30 novembre 1914 dans l’ambulance du 2e Corps d’Armée.

Georges GOBERT, blessé le 20 octobre 1914, a été amputé du bras droit. En 1937, le médecin militaire qui l’examine note que Georges est toujours victime de « troubles cardiaques des amputés, se plaint de dyspnée d’effort palpations douleurs précordiales surtout nocturnes. A eu plusieurs syncopes. »

De retour de convalescence après sa blessure de décembre 1914, Gaston POITEAUX est revenu combattre. Le 8 février 1916, des éclats d’obus lui ont déchiré le bas ventre, les bras et la jambe droite. Réformé, Gaston a quitté définitivement les champs de bataille mais pas les hôpitaux et les hospices qu’il a fréquentés très régulièrement jusqu’à la fin de sa vie.

Après avoir vécu quelques années à Paris, Désiré FROISSART est revenu dans la Somme. L’estropié de guerre y a exercé le métier de gardien du cimetière communal à Fresnoy-les-Roye. Désiré s’est marié avec Angèle ROBIQUET en août 1919 de laquelle il a divorcé en 1939, avant de se remarier avec Elise QUENEL. Désiré FROISSART, estropié de la Grande Guerre, est décédé le 17 mai 1959 à l’âge de 64 ans. Il n’a jamais eu d’enfant.  

Xavier BECQUET

Remarques : Les documents archivés d’état-civil de la commune de Voyennes pour la période 1880-1902 sont très incomplets. Certaines informations n’ont pu être doublement vérifiées comme nous le faisons pour chacun de nos articles. Des erreurs peuvent subsister. Merci de nous en excuser. En ce qui concerne les prénoms usuels, il est difficile de pouvoir les identifier sans ambiguïté : Désiré FROISSART est prénommé Joseph sur certains documents, le prénom de sa mère est Amélina, Amélia ou Mélina selon les sources et son frère de Désiré est appelé Edmond ou Joseph selon les cas !

Source de la photo d’en-tête d’article : archives municipales de Quimper – Fonds Guyonnet

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