ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – prisonniers civils

Né le 21 novembre 1894, Fernand BOURGY est le fils de Léon BOURGY et de Jeanne NOGENT.

Les grands-parents paternels de Fernand sont originaires de Hyencourt-le-Petit et les grands-parents maternels résident à Morchain. Si les deux villages sont rattachés à deux cantons différents, celui de Chaulnes pour Hyencourt-le-Petit et celui de Nesle pour Morchain, leurs territoires ne sont séparés que de deux kilomètres. Les deux communes sont situées dans l’est du département de la Somme, au sud de Péronne, près du Canal de la Somme.

Léon et Jeanne se marient le 9 février 1889 et s’installent rue de Nesle à Morchain. Léon est domestique dans la ferme PONTHIEU.

La vie est très modeste chez les BOURGY et l’arrivée de nombreux enfants n’arrange pas la situation. Jeanne accouche de dix enfants. Trois d’entre eux meurent dans les premières semaines de leur existence. Parmi les sept enfants survivants, six sont des garçons. Ils se prénomment Gaston, Henri, Fernand, Maurice, Paul et Robert. La seule fille, née en 1901, s’appelle Hélène.

Le village de Morchain compte 350 habitants à la fin du XIXe siècle. L’activité est avant tout agricole. Toutefois, les métiers de l’artisanat et du commerce sont bien représentés. On trouve trois maçons, trois menuisiers, un ébéniste, un plombier zingueur, trois charpentiers, un terrassier, un bourrelier, deux charrons, trois forgerons, un tourneur, un sabotier, une chaisière, deux cordonniers, six couturières, un boulanger, un brasseur, un marchand forain et trois débitantes.

Il y a une soixantaine d’enfants scolarisés dans le village. La classe des garçons est dirigée par Léopold DUMONT. Les garçons BOURGY sont hélas peu assidus. Le seul salaire de leur père ne permettant pas de nourrir toutes les bouches, il est nécessaire de trouver rapidement du travail pour les garçons, sans attendre la fin de leur scolarité.

La vie des BOURGY est modeste mais, à Morchain, elle n’a rien d’exceptionnel. Les journaliers et les ouvriers agricoles sont nombreux.

Gaston BOURGY, l’aîné de la fratrie, né le 30 décembre 1888, est le premier à partir au service militaire. Il est affecté au 120e Régiment d’Infanterie installé à Péronne, dans la caserne Foy. En septembre 1911, après deux années de service actif, il est libéré. Il épouse Madeleine COLLACHE en mai 1912 et s’installe avec elle à Mesnil-Saint-Nicaise, village voisin de Morchain. Gaston est domestique de ferme chez Virgile BENICOURT à Petit-Mesnil.

 Henri BOURGY, le deuxième garçon, né le 6 août 1890, rejoint également le 120e RI. Il entre dans la caserne Foy de Péronne quelques jours après que son frère aîné l’a quittée. Après deux années d’instruction militaire, il est renvoyé dans ses foyers en novembre 1913. Il reprend son activité de journalier agricole à Morchain.

Le 1er août 1914, l’ordre de mobilisation générale est décrété. Gaston et Henri BOURGY sont appelés. Les quatre autres garçons de la fratrie sont trop jeunes. Fernand a 19 ans, Maurice a 18 ans et les deux plus jeunes, n’ont que 7 et 5 ans. Si la guerre est courte comme le prédisent les journalistes, la fratrie BOURGY sera relativement épargnée, d’autant que Fernand est exempté dès son premier examen par la commission médicale pour « ankylose du membre supérieur droit ». De plus, le 17 août, Gaston est victime d’une crise d’appendicite obligeant l’Armée à le renvoyer chez lui, à Mesnil-Saint-Nicaise.

Les plus optimistes prévoyaient une guerre de trois semaines à peine. Mais trois semaines plus tard, malgré les dizaines de milliers de morts français dans la Bataille des Frontières, la guerre est loin d’être finie ! L’offensive du 22 août 1914 en Belgique destinée à repousser les Allemands « jusqu’à Berlin » est un terrible échec.  Les troupes de Guillaume II passent la frontière française et poursuivent leur progression en direction de Paris. Fin août, les Allemands entrent dans le nord-est du département de la Somme. Le 28 août, ils arrivent dans le secteur de Morchain. Le 31 août, ils entreront dans Amiens.

Comme plusieurs dizaines d’habitants du village de Morchain, Léon et Jeanne BOURGY ont quitté la commune. Ils sont partis en direction du sud de la France avec leurs quatre enfants les plus jeunes. La présence depuis plusieurs jours de nombreux réfugiés belges lancés sur les routes de la Somme pour fuir les exactions commises par l’ennemi sur les civils, a alerté la population locale.

Les BOURGY seront hébergés dans la ferme de Fontanges à Salon-de-Provence. Fernand n’a pas suivi ses parents. Il est resté à Morchain. Quant à son frère aîné, Gaston, il est resté à Mesnil-Saint-Nicaise avec son épouse Madeleine et leur fille âgée seulement de sept mois.

Les jeunes hommes d’une vingtaine d’années sont immédiatement faits prisonniers par les Allemands dès leur arrivée dans les villages de la Somme. Depuis le début de l’invasion de la Belgique par les troupes allemandes, les civils ont payé un lourd tribut à la guerre. Plus de 6 000 civils ont été tués en Belgique et en France et des dizaines de milliers d’habitants des régions occupées sont prisonniers des Allemands.

Gaston et Fernand BOURGY sont capturés et transférés vers la Belgique occupée.

En ces premières semaines du conflit, Henri BOURGY est le seul membre de la fratrie présent sur les champs de bataille. Et pas n’importe lesquels ! Le 22 août, le 120e RI est décimé dans la plaine du Radan à Bellefontaine. Les pertes s’élèvent à plus de 1 000 hommes dont près de 600 sont tués. Plusieurs copains du secteur de Morchain sont tombés : Robert DUCROCQ de Licourt, Roger FROISSART de Voyennes, Edmond COLOMBIER de Curchy…

C’est le premier combat du 120e et Henri BOURGY peut déjà se considérer comme un miraculé. Quelques jours plus tard, une nouvelle page d’horreur s’écrit dans le sud de la Marne. Les hommes de la région militaire d’Amiens sont positionnés entre Vitry-le-François à l’ouest et la limite avec le département de la Meuse, près de Sermaize-les-Bains, à l’est. Du 6 au 10 septembre 1914, les combats destinés à stopper la progression des Allemands puis à les repousser vers le nord sont extrêmement meurtriers. Plusieurs centaines de copains du 120e sont tués ou blessés. Le miracle continue pour Henri.

Le 15 septembre, les rescapés du 120e RI sont positionnés en Argonne, près du Bois de la Gruerie où se sont retirés les troupes allemandes. Le 26 septembre 1914, Henri BOURGY est déclaré disparu. Son corps ne sera jamais retrouvé. Il avait 24 ans.

Les jeunes hommes de la Classe 1916 comme l’est Maurice BOURGY, né le 15 mai 1896, sont convoqués dès le début de l’année 1915. La commission médicale de Marseille qui examine le jeune réfugié l’estime trop faible pour le service armé et ajourne son incorporation. Quelques mois plus tard, malgré un état constaté de « rachitisme », les médecins militaires décident que Maurice peut être affecté au service auxiliaire de la 2e Section des Commis et Ouvriers à compter du 3 septembre 1916 en tant qu’agriculteur. Maurice n’ira jamais combattre. Le 7 août 1917, il meurt à l’hôpital complémentaire n’20 de Pamiers en Ariège. Bien loin de son village de Morchain ! Il avait 21 ans.

Plaques émaillées en hommage aux hommes de Morchain morts pour la France (photo : Remy Godbert)

La famille réfugiée des BOURGY revient à Morchain à l’automne 1918. Le village est en ruines.

Gaston et Fernand BOURGY sont libérés après la signature de l’Armistice. Fernand est rapatrié le jour même du 11 novembre et Gaston rentre des régions envahies le 22 novembre 1918.

Tout est à reconstruire dans ces villages du nord-est de la Somme. Si un tiers des habitants n’y reviendra jamais, pour les BOURGY il n’est pas question de baisser les bras. La reconstruction est lente et les bâtiments provisoires deviennent le quotidien des habitants de Morchain et de Mesnil-Saint-Nicaise pendant plusieurs années, mais peu à peu la vie reprend ses droits.

A Mesnil-Saint-Nicaise, après la fin de la guerre, Gaston BOURGY devient cultivateur dans la rue de Curchy à Petit-Mesnil. Avec Angélique, il construit une belle famille constituée de cinq enfants : Renée, Jean, Adrienne, Maurice, Thérèse.

A Morchain, Léon et Jeanne BOURGY résident rue de Potte avec leurs plus jeunes enfants Hélène, Paul et Robert. Léon est domestique de ferme tout d’abord chez PONTHIEU puis quelques années plus tard chez Gaston PHILIPPE.

Fernand BOURGY s’installe avec Georgette LECOT, débitante dans la rue d’Enfer.  Elle a déjà deux enfants prénommés Simon, aveugle de naissance, et Denise. Nés de l’union de Fernand et de Georgette, Kléber et Jacqueline viendront compléter la fratrie. Fernand est ouvrier agricole dans la ferme de Gaston PHILIPPE où il retrouve son père tous les jours.

Comme Fernand, Gaston PHILIPPE, le cultivateur, a été prisonnier des Allemands pendant la guerre, non comme civil mais comme soldat. Victime de la fièvre typhoïde puis blessé gravement à plusieurs reprises, il a été capturé en mai 1917 puis interné en Allemagne jusqu’en janvier 1919. Jusqu’à la fin de sa vie, Gaston PHILIPPE souffrira d’une insuffisance respiratoire grave qui l’obligera à recourir à l’aide d’ouvriers agricoles pour faire vivre son exploitation.

Malgré sa souffrance physique, Gaston PHILIPPE se sait chanceux. Il a survécu à la guerre, tout comme Gaston et Fernand BOURGY.

Les noms d’Henri BOURGY et de Maurice BOURGY sont inscrits sur le monument aux morts de Morchain. Eux, ne vieilliront pas.

Xavier BECQUET

Remarque : le village de Hyencourt-le-Petit d’où sont originaires les grands-parents paternels de Fernand, a été rattaché à la commune d’Omiécourt en 1965. Les communes d’Omiécourt, de Hyencourt-le-Grand et de Pertain ont fusionné en janvier 2017 pour devenir une nouvelle entité nommée Hypercourt.

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