Né le 12 juin 1891, Félix ROUX n’a jamais connu son père. Sa mère, Irène, porte le patronyme de ROUX. Enfant naturel, Félix s’appellera donc ROUX comme ses frères aînés, Fernand et Arthur, son frère cadet, Robert et sa petite sœur, Madeleine.
Irène a 5 enfants et pas de mari. À Ennemain, petit village situé au bord du fleuve Somme, près de Saint-Christ-Briost, dans le Nord-Est du département de la Somme, cette situation ne convient pas forcément à certains bien-pensants. Qu’en pense Monsieur le curé, Fursy POULAIN ? On ne le sait pas, mais peut-être a-t-il pardonné depuis longtemps.La pauvre Irène est, elle-même, un enfant naturel comme son frère Charles. Ils n’ont jamais connu leur père.

Au début du XXe siècle, on se tourne naturellement vers l’agriculture pour chercher du travail dans un village comme Ennemain, surtout si on ne peut pas attendre l’âge légal pour faire rentrer un peu de sous à la maison.
Les deux grands frères de Félix travaillent dès le plus jeune âge. Dès qu’il a 8 ou 9 ans, un enfant peut déjà rendre beaucoup de services pour les travaux des champs. L’instituteur public, Omer DEFLANDRE, connaît bien la situation de la famille et n’insiste pas beaucoup pour obliger Félix à suivre ses cours. Félix ne sait ni lire, ni écrire. Pour biner des betteraves ou pour être valet de charrue, ça n’est pas vraiment utile…

Quand le garde-champêtre vient apporter à Félix sa convocation pour le Conseil de Révision à Ham, c’est plutôt une bonne nouvelle pour lui. Il va pouvoir découvrir d’autres horizons et espérer quitter la pauvreté.
Jugé apte, il part effectuer son service militaire à La Fère dans l’Aisne. Le 8 octobre 1912, c’est à la gare d’Athies, village voisin d’Ennemain, que jeune homme, aux cheveux bruns et aux taches de rousseur, prend le train. Félix n’est jamais sorti du canton. Après cinquante kilomètres et deux correspondances, il peut enfin découvrir le 17e Régiment d’Artillerie où il a été incorporé.

Quand la guerre est déclarée, début août 1914, Le 17e RA rejoint les frontières de l’Est de la France.Félix ROUX aime la mission qui lui est confiée. Ils est artilleur. En couverture des régiments d’infanterie, le 17e RA connaît les terribles premiers combats de la Bataille des Frontières puis de celle de la Marne début septembre 1914, avant de poursuivre la guerre en Argonne et dans la région de Verdun. Avec la guerre de position, c’est avant tout l’artillerie qui permet maintenant une démonstration des forces de chaque côté des tranchées. Félix se sent bien dans cette vie de soldat et assure les missions avec sérieux. Il prend de l’assurance à être au contact des autres. Félix est un bon soldat !

Il est promu brigadier le 5 avril 1916. Et alors, tout bascule. Si Félix était un bon soldat, était-il capable d’être un bon chef ?
Le 27 octobre, il est cassé de son grade et remis soldat de 2e classe. Le motif invoqué : « s’est permis, vis-à-vis d’un subordonné, une plaisanterie incompatible avec son autorité ».
Le 13 novembre, Félix est condamné pour « vol au préjudice d’un militaire » et condamné à 5 ans de prison avec sursis.
C’est l’heure de rentrer dans le rang. Félix ne fait plus alors parler de lui. Il est affecté à la 5e Batterie du régiment et, comme quand il conduisait la charrue dans les champs à Ennemain, il fait son travail d’artilleur du mieux possible. Il change trois fois de régiments, connaît d’autres champs de bataille comme ceux du Chemin des Dames ou de Champagne et après l’Armistice, Félix ROUX est mis à la disposition de la Compagnie des Chemins de fer du Nord pendant quelques mois. Il est démobilisé fin mai 1919.

Félix revient à Ennemain, chez Irène, sa mère. Le village a été détruit en grande partie par les combats, mais, même dans les ruines, la famille ROUX veut vivre ici. Irène est revenue avec sa fille, Madeleine. Des habitats provisoires permettent aux familles de retrouver une forme de vie « normale ».Dans la maison voisine, s’est installé Robert, le frère cadet de Félix. Robert, né en 1896, n’a pas combattu pendant la guerre. Trop jeune pour être mobilisé en août 1914, il a été fait prisonnier par les Allemands, comme tous les civils restés dans les villages occupés de l’Est du département de la Somme. Après la guerre, Robert ROUX s’est marié avec Ophélie, une jeune fille originaire d’Heudicourt.
Félix a trouvé du travail chez Louis DORMARD, cultivateur rue des Fermes à Ennemain. Il en est fini du rôle d’artilleur ! Félix reprend la charrue et la fourche. La parenthèse guerrière s’est refermée.

C’est l’amour qui fait partir Félix de son village de coeur. Il a rencontré une jeune fille de Devise, un autre village de la Vallée de l’Omignon. Félix et Raymonde se marient et décident de résider à Devise, village situé à moins de deux kilomètres d’Ennemain. Trois garçons naîtront de cette union, Marcel, Pierre et Etienne. Trois enfants reconnus par leur mère et leur père qui porteront le patronyme de ROUX.
Félix continuera, jusqu’à la fin de sa vie, à travailler dans les fermes des autres. Comme avant la guerre…
Lionel JOLY et Xavier BECQUET
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