ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – le conducteur du wagon de l’Armistice

Né le 6 octobre 1888, Paul JUSTIN est le fils d’Amédée JUSTIN et d’Eugénie PREVOST.

Quand ils se sont mariés en février 1885, Amédée était domestique charretier et Eugénie domestique de ferme.

Amédée est originaire de Dannes dans le canton d’Etaples, dans l’Ouest du département du Pas-de-Calais et Eugénie de Widehem, village voisin. Après son mariage, Amédée est devenu ouvrier pour la Compagnie du Nord du chemin de fer. Les trains qui empruntent la ligne Paris-Boulogne passent sur le territoire de la commune de Dannes et s’arrêtent à la gare de Dannes-Camiers. L’entretien des voies nécessite une main d’œuvre abondante.

Amédée et Eugénie résident à Dannes, dans la grande rue qui relie Doullens à Gravelines. Leur premier enfant est une fille prénommée Berthe. La famille s’agrandit avec l’arrivée des jumeaux Amédée et Julien, de Paul, d’Eugénie puis de Marie.

L’aînée de la fratrie n’a pas encore atteint l’âge de 10 ans quand Amédée, le père de famille, disparaît. Eugénie doit élever seule ses enfants.

Le malheur de la pauvre femme prend fin avec la rencontre d’un employé du chemin de fer qui accepte de l’accompagner et d’élever les enfants avec elle. Pierre ROUSSEL est né à Gueschart, village de la Somme à la limite avec le département du Pas-de-Calais. Pierre obtient un emploi de garde-sémaphore à Condé-Folie et Eugénie devient garde-barrière pour la Compagnie du Nord du chemin de fer. La maison de fonction située dans la rue du château à Condé-Folie permet d’accueillir la fratrie JUSTIN. Une fratrie qui s’agrandit encore avec l’arrivée de Marceau ROUSSEL, le fils unique qu’auront ensemble Pierre et Eugénie.

C’est à Condé-Folie, dans la classe de Monsieur MIANNAY, l’instituteur public, que Paul JUSTIN termine sa scolarité avant de travailler comme journalier ou terrassier pour les entreprises de la commune. C’est aussi dans ce village de la vallée de la Somme qu’il rencontre l’amour quelques années plus tard. Elle se nomme Arthurine LAGACHE et réside dans la Rue de Bas, non loin de la maison de garde-barrière. Son père est tailleur d’habits.

En 1909, Paul est convoqué devant le Conseil de Révision en mairie de Picquigny, le chef-lieu de canton. Jugé apte, il est affecté au 17e Régiment d’Artillerie de La Fère dans l’Aisne pour y effectuer les deux années de service militaire obligatoire. Il est promu canonnier-conducteur. Fin septembre 1911, il est libéré des obligations militaires et peut revenir à Condé-Folie.

Orphelin de cheminot, il réussit à se faire embaucher à la gare de Condé-Folie dès son retour du service militaire. Il y côtoie plusieurs jeunes hommes de son âge comme Louis COFFINIER, Albert DUMESGES ou Louis SANTERRE.

Louis COFFINIER et Albert DUMESGES sont des voisins de Paul JUSTIN. Ils habitent comme lui dans la rue du Château. Le père de Louis est cantonnier pour le chemin de fer, celui d’Arthur est fermier. Louis SANTERRE réside dans la rue de Longpré à Condé-Folie. Il est originaire de Dreuil-Hamel près d’Airaines.

Quand le 1er août 1914, la Mobilisation générale est décrétée, Louis COFFINIER et Louis SANTERRE sont déjà sous les drapeaux. Ils effectuent leur service militaire. Louis COFFINIER est canonnier-servant au 12e Régiment d’Artillerie et Louis SANTERRE est fantassin au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville. Paul JUSTIN et Albert DUMESGES, mécaniciens au chemin de fer sont mobilisés et laissés à la disposition du réseau du Nord. L’Armée estime que l’acheminement des troupes, des munitions, des denrées, des blessés est un élément hautement stratégique. Les mécaniciens et les conducteurs de train seront donc pour la plupart mobilisés comme soldats-cheminots.

Paul JUSTIN est mobilisé à la 5e Section du Chemin de Fer comme mécanicien de route.

Si de nombreux cheminots ont perdu la vie pendant la Grande Guerre, leur statut les a souvent éloignés des lieux de combat. Paul JUSTIN et Albert DUMESGES ont survécu à la Grande Guerre tout comme Louis COFFINIER, affecté pendant tout le conflit, dans l’Artillerie. Aucun des trois n’a été blessé. Paul, Albert et Louis savent à quel point ils peuvent se considérer comme des miraculés. Tant de copains ont perdu la vie. Des copains, des cousins, des frères… Albert DUMESGES a perdu son frère cadet, Charles, tué le 14 septembre 1914 à Vienne-le-Château en Argonne.

La chance de survie pour ceux qui ont débuté la guerre dans l’infanterie de l’Armée active était infime. Parmi ceux qui effectuaient leur service militaire comme fantassin avant la déclaration de guerre, on peut estimer que 8 sur 10 ont été tués, blessés, prisonniers ou gravement malades.

Louis SANTERRE n’est pas revenu. Le 128e Régiment d’Infanterie de la Somme a été décimé dans les premiers jours de la guerre, tout particulièrement pendant la Première Bataille de la Marne, début septembre 1914. Louis SANTERRE est mort à Maurupt-le-Montois près de Vitry-le-François. Il avait 23 ans.

Paul JUSTIN, Albert DUMESGES et Louis COFFINIER, démobilisés au printemps 1919, ont poursuivi leur activité au chemin de fer après la fin de la guerre.

Paul JUSTIN est resté à Condé-Folie. Il s’est installé avec son épouse dans la rue de Longpré. En 1920, Arthurine a mis au monde un garçon prénommé Paul. Le petit Paul sera leur seul enfant. Mécanicien au chemin de fer, Paul JUSTIN a exercé son métier à Condé-Folie jusqu’à l’heure de la retraite.

Le Courrier Picard du 12/11/1958

En novembre 1958, le mécanicien retraité a acquis une certaine notoriété. Mise en lumière par un article de « La Vie du Rail », son histoire a été reprise dans les colonnes du quotidien régional « Le Courrier Picard » avec pour titre « C’est moi qui ai amené le wagon de Rethondes ». Il raconte :

« Le 11 Novembre, je faisais la réserve banlieue à Creil, j’étais alors chauffeur sur la locomotive 232 n° 3843, mon mécanicien s’appelait TEMPS et je crois bien que je suis le seul cheminot survivant présent ce jour-là à Rethondes.

Locomotive 232 Nord 3843 (photo La Vie du Rail du 9/11/1958)

A 5 heures du matin, l’équipe de réserve était commandée pour prendre en remorque une voiture de la Compagnie des Wagons – Lits, attelée en queue d’un «messagerie » venu de Paris dans la nuit. La manœuvre terminée, nous avons reçu la feuille avec direction : Compiègne. De là, on nous a dirigés sur Rethondes. Nous y sommes arrivés à 7 heures 30, puis, nous avons refoulé jusqu’au carrefour à un emplacement d’A L.V.F. « Artillerie Lourde sur Voie Ferrée » près de l’endroit où se trouvait le train du Maréchal FOCH. A 8 heures un coup de téléphone de Rethondes annonçait l’arrivée du train allemand en gare. L’ordre fut donné de le diriger sur le carrefour. Je me souviens qu’il était composé de 3 voitures allemandes remorquées par une machine de Compiègne.

J’en vis descendre cinq personnes, trois militaires et deux civils, l’un deux, très pâle, vêtu de noir portait un chapeau mou, j’ai su qu’il s’appelait ERZBERGER. Personne ne parlait, mais nous étions émus. Alors, sous la garde d’un détachement de chasseurs à pied, les parlementaires furent conduits par un commandant qui les annonça au Maréchal FOCH. Quelques instants plus tard, ils montaient dans la voiture des Wagons – Lits que nous venions d’amener, le Wagon de l’Armistice.

Nous ne savions pas que la guerre était finie mais nous nous doutions que ces Allemands étaient quand même chargés d’une mission importante et qu’il allait se passer des événements extraordinaires. On avait entendu des conversations et on connaissait un peu la situation au front par les Poilus. Nous avons compris que la fin était proche.

Notre mission terminée, nous sommes repartis Haut le Pied, et c’est non loin de là, à Saint Aubin, que nous avons appris la grande nouvelle vers 10 heures. La guerre était finie et je peux dire que j’étais le premier à le savoir. »

Paul JUSTIN, à gauche et M. FULGENCE, maire de Condé-Folie (photo La Vie du Rail du 9/11/1958)


Paul JUSTIN s’est éteint le 13 mars 1964 dans son village natal de Dannes dans le Pas-de-Calais à l’âge de 75 ans.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

Merci à André SEHET

Remarque : le prénom usuel de Paul JUSTIN était Gaston. Il était prénommé ainsi par ses proches autant à Dannes pendant son enfance qu’à Condé-Folie. Le prénom Paul n’était utilisé que pour les actes officiels.

Publié par

Laisser un commentaire