
Dans la rue des Blancs Pignons, à Pernois, habite la famille BELLENGER.
Le père, Evariste Joseph, originaire du village où il est né en 1860, est tisserand chez Saint Frères, la grande usine de tissage installée dans la vallée de la Nièvre. Il s’était marié à Pernois le 11 novembre 1882 avec Léopoldine LHORLOGE, ouvrière de fabrique, née à Bonneville en 1863 et résidant à Berteaucourt-les-Dames, où elle habitait avec ses parents.
Pernois est un village de la vallée de la Nièvre, affluent rive droite du fleuve Somme. Plusieurs moulins à eau y sont installés, on y moud les grains pour la farine mais aussi les graines d’oléagineux pour en faire de l’huile.

L’activité des villageois est variée ; les commerces et artisans sont présents, l’agriculture avec ses ménagers, et aussi des ouvriers tisserands dans la filature Saint Frères d’Harondel, un lieu-dit situé à l’ouest de la commune de Berteaucourt-les-Dames, commune limitrophe de Pernois.

En 1906, la famille BELLENGER est composée des parents Evariste et Léopoldine, et de trois garçons nés de leur union : Adrien, le 1er avril 1883, devenu voyageur de commerce, Eugène, né le 13 avril 1888 et Edouard, le 16 novembre 1890, sont ouvriers chez Saint Frères, ainsi que Zélia, la petite sœur âgée de 10 ans. Deux nourrissons de la région parisienne Augustin BONY né en 1902 et Alfred PERNEL de 1905 complètent la maisonnée.
Adrien lors de ses voyages professionnels s’installe ensuite à Moulins (Allier).
En 1911, au recensement communal, Evariste ne travaille plus, malade il décèdera le 5 février 1912, laissant son épouse Léopoldine élever un nouvel enfant parisien, Marie PAILLOUX née en 1905. Zélia a rejoint son frère Edouard à l’usine Saint Frères.
Eugène qui avait passé le conseil de révision à Domart-en-Ponthieu, a été déclaré apte au service armé. Il est incorporé au 128ème Régiment d’Infanterie à Abbeville le 6 octobre 1909, et sera mis en disponibilité en septembre 1911.
Il se marie le 11 novembre 1911 à Saint-Léger-les-Domart avec une fille du pays, Jeanne RATHUILLE, née en 1890, ouvrière d’usine chez Saint Frères, comme ses parents. De cette union naîtra le 7 janvier 1913 un fils prénommé Joseph.

En janvier 1913, ayant retrouvé son poste d’ouvrier d’usine, le Conseil Départemental le désigne pour bénéficier de l’allocation journalière comme soutien de famille, suite au décès de son père. Il effectuera malgré tout, une période d’exercices en septembre dans son régiment d’incorporation.
Début août 1914, la guerre contre l’Allemagne est déclarée, Eugène rejoint le 128ème Régiment d’Infanterie, le 3 août.
Le 5, il prend le train à destination de Dun sur Meuse, le 18 direction du Luxembourg belge et c’est le baptême du feu le 22 août dans la région de Meix-devant-Virton. Le repli s’effectue dès le 25 où deux bataillons du 128ème tiennent tête à l’offensive allemande dans le hameau de Fontenois (Ardennes) : près de 400 hommes sont mis hors de combat. Le reste du régiment recule jusqu’à la Marne, entre Pargny-sur-Saulx et Maurupt-le-Montois. Du 6 au 11 septembre, 500 hommes seront tués, blessés ou disparus, Eugène côtoie l’horreur de la guerre mais il est toujours combattant.
La poursuite de l’ennemi continue en Argonne, le front se stabilise à l’approche de l’hiver, mais les pertes sont encore nombreuses, plus de 2000 hommes entre la mi-septembre et le début février 1915. La première bataille de Champagne décime à nouveau le régiment en février et mars. Début avril, après quelques jours de repos à Sainte-Menehould, c’est le retour au front, en Woëvre. Au sud-Est de Verdun, proche des Eparges, se dresse une ligne infranchissable de barbelés entre les lignes ennemies. Difficile de progresser sous les rafales de mitrailleuses, c’est aux approches du petit village de Riaville (Meuse) que le 7 avril 1915, Eugène perdra la vie dans les épais réseaux de fils de fer.

Son frère Edouard, né en 1890, est incorporé le 7 octobre 1911 au 51ème Régiment d’Infanterie à Beauvais. Soldat de 2ème classe, il est réformé pour adénite cervicale chronique (ganglion au cou) le 2 mars 1912, confirmé le 1er février 1913.
Les pertes humaines du début du conflit contraignent le Conseil de Révision du canton de Domart à revoir les conditions de réforme. Ainsi Edouard est ‘’reconnu propre au service armé’’ le 17 novembre 1914. Affecté au 128ème Régiment d’Infanterie, retrouvera-t-il son frère aîné quand il arrivera le 15 décembre ? Se sont-ils au moins croisés ? Malheureusement dès le 2 février 1915 il est muté au 148èmeRégiment d’Infanterie. Un régiment qui avait combattu en Belgique en août et lors de la bataille de la Marne au Sud de Château-Thierry, avant de poursuivre entre Laon (Aisne) et Reims (Marne) du côté de Berry-au-Bac : c’est le Chemin des Dames.
Début juin, le régiment vient se positionner sur la rivière Aisne du côté d’Attichy, puis livre bataille à partir du 6 juin à la ferme de Quennevières, entre Noyon et Soissons, afin de soulager le front d’Artois soumis à de fortes attaques ennemies. La bataille durera 11 jours qui entraîneront la perte de plus de 7700 hommes,

Edouard y sera blessé le 16 juin : Fracture du tiers moyen de la cuisse gauche avec atrophie de 5 cm de la cuisse. Edouard est évacué, il ne combattra plus. En 1917 il sera déclaré infirme à 40%, suite à des blessures imputables au service, et se retire à Amiens, rue de Noyon.
Edouard, ouvrier d’usine à Pernois après-guerre, deviendra cheminot et épousera le 26 août 1929 à Calais (Pas de Calais) Gabrielle PELLERIN, une veuve de guerre dont le mari Albert THYRANT avait été tué au combat de Crécy-sur- Serre (Aisne) le 29 mai 1918.
Edouard décèdera à Calais le 10 décembre 1963.
Zélia, la petite sœur née le 28 avril 1896, devient ouvrière d’usine, elle épouse le 17 mars 1917 un citoyen anglais, George GAINES, de Leeds dans le Yorkshire en Angleterre, où il était né le 17 août 1895. Issu de cette union Joseph verra le jour en 1917. La famille part quelque temps au Canada, à Calgari où nait Yvonne en 1919, puis revient à Pernois où Aline viendra compléter la fratrie en 1922. Devenu employé des postes, George décède à Pernois le 6 avril 1924.


Zélia & George (https://gw.geneanet.org/pthobie?)
En 1926, Léopoldine habite toujours sa maison de la rue des Blancs Pignons. Adrien s’est installé dans l’Allier, Eugène est tué à la guerre, Edouard est cheminot à Amiens.
Elle élève deux de ses petits-enfants : Joseph, le fils d’Eugène, et Aline la fille de Zélia. Léopoldine décèdera à Pernois le 12 décembre 1927.
En 1931, de la famille d’Evariste BELLENGER, il n‘en reste plus qu’un au village de Pernois : Eugène, son fils, dont le nom figure sur le Monument au Morts …


Danièle REMY et Lionel JOLY
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