Né le 9 décembre 1892, René ABAR est le fils de Joseph ABAR et d’Angéline LECAILLET.
Les deux familles sont originaires d’Amiens. Les ABAR réside route d’Allonville dans le faubourg Saint-Pierre, au nord de la ville et les LECAILLET, rue des Parcheminiers, dans le quartier Saint-Leu.

Joseph et Angéline se marient le 18 février 1889. Le jeune couple s’installe dans une petite maison en torchis de la rue des Becquerelles, dans le quartier Saint-Leu d’Amiens, à quelques pas du logement où vit Julienne LECAILLET, la mère d’Angéline. L’eau du fleuve Somme et de ses canaux est prédominante dans ce quartier surpeuplé situé en contrebas de la Cathédrale Notre-Dame. Les tanneurs et les teinturiers qui ont fait la renommée de la cité dans tout le royaume de France s’y sont installés depuis plusieurs siècles. Depuis la fin du XVIIIe, on y trouve également de nombreux ateliers de textile.
Joseph est apprêteur d’étoffes et Angéline est tisseuse.
Le premier enfant de Joseph et d’Angéline ABAR naît en 1890. Il a pour prénom Gustave. Julien né en 1891, René en 1892 et une petite sœur prénommée Angèle cinq ans plus tard complètent la fratrie.

Les enfants sont nombreux à Saint-Leu. Les garçons n’ont que l’embarras du choix pour trouver des copains de leur âge. Les frères ABAR aiment aussi retrouver leurs cousins Arthur et Marius. Né en 1891, Arthur est le fils de l’oncle Arthur ABAR, cordonnier qui réside rue Valentin Haüy dans le quartier Saint-Pierre, sur la rive droite du fleuve Somme. Marius est le fils de la tante Adèle ABAR, mariée avec Aristide LAMBERT, mécanicien dans l’usine de textile BOILEAU. Les LAMBERT résident eux-aussi dans le quartier Saint-Pierre. Habitant la rue Eloi Morel dans un premier temps, ils déménagent ensuite dans la rue du Petit-Rivery.
L’enfance des frères ABAR est plutôt heureuse jusqu’à ce jour du 19 janvier 1900. Angéline, leur mère, est emportée par la maladie. L’équilibre familial est compromis. L’aîné de la fratrie a 9 ans et la benjamine n’a pas encore 3 ans. Joseph ABAR ne peut s’occuper seul de ses enfants. Il quitte son logement de la rue des Becquerelles pour s’installer chez sa sœur Adèle, rue du Petit-Rivery. Les enfants sont pris en charge par les oncles et les tantes. L’oncle Arthur et la tante Adèle, frère et sœur de Joseph et Victoria, la sœur d’Angéline, hébergent les enfants. Le quartier Saint-Pierre d’Amiens devient maintenant l’univers des jeunes orphelins.

Deux ans après sa femme, Joseph meurt de maladie à l’Hôtel-Dieu d’Amiens. La fratrie ABAR est définitivement éclatée. Même si leurs oncles et tantes habitent tous dans le nord-est d’Amiens, entre le quartier Saint-Pierre et le village de Rivery où est Victoria, les quatre enfants de Joseph et Angéline ne vivront plus sous le même toit.

Même si les enfants peuvent exercer une profession dès qu’ils ont atteint l’âge de 12 ans, leur santé n’est pas bonne. Gustave, l’aîné, corroyeur dans une tannerie amiénoise, est exempté du service militaire. Le Conseil de Révision ajourne son incorporation pour « faiblesse générale ».
Julien, le second de la fratrie, est également exempté pour « insuffisance de développement ».
René, le plus jeune des trois garçons ABAR, est le premier à être jugé « apte au service armé » par le Conseil de Révision d’Amiens. Il est incorporé au 128e Régiment d’Infanterie qu’il rejoint le 9 octobre 1913 pour y effectuer les deux années de service actif obligatoire. La caserne de la Citadelle où sont installés deux des trois bataillons du 128e est située près du quartier Saint-Pierre.

Comme les deux aînés ABAR, le cousin Arthur ne peut remplir son devoir. Il est réformé temporairement pour « hypertrophie au corps thyroïde ».
La Mobilisation générale du 1er août 1914 ne concerne ni Gustave, ni Julien, ni Arthur ABAR. Exemptés du service militaire pour raison médicale, ils doivent attendre d’être convoqués devant une commission militaire qui statuera sur leur sort.

L’état de santé de Gustave ne lui permettra jamais d’être déclaré apte. Le 30 décembre 1914, la commission de réforme de Vannes juge son frère Julien « apte au service armé ». Après plusieurs semaines de formation militaire, il rejoint le 29e Régiment d’Artillerie.
Le cousin Arthur ABAR est examiné à plusieurs reprises par des commissions médicales, lesquelles confirment à chaque fois la réforme. Il est finalement affecté au 39e Régiment d’Infanterie en mai 1917. Sa santé n’est pas meilleure mais après la dernière hécatombe subie par l’armée française au Chemin des Dames, la nécessité de compléter les effectifs s’impose.
L’autre cousin, Marius LAMBERT, trop jeune pour être appelé en août 1914, a été mobilisé le 16 décembre 1914. Après trois mois de formation militaire au 87e Régiment d’Infanterie, il a été envoyé au front au printemps 1915. Six mois plus tard, il est déclaré disparu à la Côte 139 au sud de Sainte-Marie-à-Py dans la Marne.

Le 5 août 1914, René ABAR quitte les locaux de la Citadelle avec l’ensemble des hommes du 128e Régiment d’Infanterie pour prendre le train en gare d’Amiens, afin de rejoindre le nord du département de la Meuse, à quelques kilomètres de la frontière avec la Belgique.
Le 22 août, René connaît l’épreuve du feu. Il voit tomber plusieurs dizaines de camarades avec lesquels il avait partagé le quotidien de la caserne pendant près de dix mois.

Le 31 août, l’horreur gravit un échelon supplémentaire. Deux bataillons du 128e sont désignés par l’état-major pour assurer une mission d’arrière-garde. Ils doivent attendre les troupes allemandes et les repousser du village de Saint-Pierremont dans les Ardennes. Les Français sont 2 000, les fantassins allemands appuyés par l’artillerie sont dix fois plus nombreux. Ce sont les 2e et 3e bataillons qui sont désignés. René est affecté à la 12e Compagnie du 3e Bataillon commandée par le capitaine Léopold FERTÉ.

Les combats sont meurtriers. Entre le hameau de Fontenois et le village de Saint-Pierremont, René ABAR voit tomber plusieurs de ses copains : Georges DETAILLE de Warfusée-Abancourt, Emile DEVALOIS d’Amiens, Georges GADRE de Saveuse…
A midi, les hommes valides quittent le hameau de Fontenois vers le sud, laissant des centaines de blessés aux mains des Allemands. René est sauf. Vivant mais profondément traumatisé !
Cinq jours plus tard, dans le secteur de Pargny-sur-Saulx et Maurupt-le-Montois, dans le sud de la Marne, une autre épreuve attend les rescapés du 31 août. L’ordre donné aux hommes du 128e RI est clair. Il faut empêcher les soldats allemands de franchir les ponts sur la Saulx, sur l’Ornain et sur le canal de la Marne et… résister jusqu’à la mort !

Du 6 au 10 septembre 1914, le 128e RI tente de résister. Les ponts n’ont pu être défendus et la pression des Allemands est très vive. Les morts se comptent par centaines. Le 10 septembre, Léopold FERTÉ, le capitaine de la 12e Compagnie est tué sur le territoire de Maurupt-le-Montois à la tête de ses hommes. Plusieurs d’entre eux sont tués ou blessés à ses côtés. René ABAR est très grièvement blessé. Transporté vers l’ambulance du régiment, il meurt de ses blessures trois jours plus tard.

Les frères aînés de René ont survécu à la guerre, tout comme ses cousins, même le « disparu » Marius. Déclaré disparu en septembre 1915, Marius LAMBERT n’est pas mort. Blessé et capturé par les Allemands, il a vécu la guerre en captivité et n’a été rapatrié que le 15 décembre 1918. Fortement handicapé en raison de plusieurs blessures de guerre, mais vivant !

Le nom de René ABAR est inscrit sur le monument aux morts d’Amiens.
Ghislain FRANÇOIS et Xavier BECQUET
Félicitations
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