Né le 8 mai 1893 à Gamaches, Raoul POYEN est le fils d’Irénée POYEN et de Marcelline GRANDPIERRE.

La famille POYEN est originaire de Millebosc, dans le canton d’Eu, en Seine-Inférieure. En 1872, Constant, le grand-père de Raoul vient s’installer à Incheville, commune voisine de Millebosc située au bord du fleuve qui sépare les départements de la Somme et de la Seine-Inférieure.
Constant y épouse Florestine CLERENTIN, une fille de cultivateur. La ferme des CLERENTIN est installée dans le hameau de Breuilly. On y cultive la terre et on y fabrique des pannes. Constant lui, est vannier.

Le couple a quatre enfants: deux garçons, Irénée et Albert et deux filles, Albertine et Blanche. A l’adolescence, Irénée POYEN (celui qui deviendra le père de Raoul) vit sa jeunesse à Breuilly avec son frère Albert et ses sœurs Albertine et Blanche. A l’adolescence, il part chercher du travail à Paris puis revient finalement à Gamaches où il devient meunier. La commune de Gamaches est également située dans la vallée de la Bresle mais sur la rive droite, c’est-à-dire dans le département de la Somme.
Irénée épouse Marcelline GRANDPIERRE, une jeune ouvrière de 20 ans travaillant dans l’usine textile SAINT de Gamaches. C’est dans cette commune de la Somme que naît leur premier et unique enfant, prénommé Raoul.

Né le 21 septembre 1893 à Mers-les-Bains, André BOUTTÉ est le fils de Blimont BOUTTÉ et de Joséphine GUILBAUT.
Le grand-père d’André est originaire de Saint-Blimont dans la Somme. Il se prénomme Augustin. Marié à Alexandrine PARMENTIER, il exploite une ferme dans le hameau d’Ebalet, avec l’aide de ses trois fils. Mais Blimont, le benjamin de la fratrie, né en 1869, ne souhaite pas devenir cultivateur-serrurier comme ses frères aînés Augustin et Joseph. Il veut devenir instituteur.

Sa réussite aux épreuves pour obtenir le précieux sésame vers l’Ecole normale des instituteurs, lui permet de quitter Saint-Blimont pour devenir pensionnaire à Amiens.
La première affectation de Blimont BOUTTÉ, en 1889, l’envoie dans le village de Huppy, près de Oisemont, en tant qu’instituteur stagiaire. Poste qu’il quitte pour remplir son devoir patriotique.

Après une année de service militaire au 128e Régiment d’Infanterie d’Abbeville, Blimont retrouve son activité d’enseignant. Le jeune instituteur public est nommé à Bernaville, puis l’année suivante à Gamaches avant d’arriver en 1892 à Mers-les-Bains. Il s’y marie en octobre de la même année avec Joséphine GUILBAULT, sa fiancée de toujours, originaire du hameau d’Offeux à Saint-Blimont.

C’est à Mers que naît le premier enfant du couple. Malheureusement, quand le petit André vient au monde le 21 septembre 1893, son père n’est pas à la maison. Il est retenu pour effectuer une période obligatoire d’exercices militaires à Beauvais dans la caserne du 51e Régiment d’Infanterie du 5 septembre au 2 octobre !
Le séjour à Mers ne dure guère plus de trois années. Une nouvelle affectation attend Blimont. En 1896, il dirige l’école du petit village de Fourcigny. Les jumeaux, Antonin et Germaine BOUTTÉ, voient le jour dans cette commune rurale du sud du département de la Somme, près de Lignières-Chatelain.

Le poste suivant marque la fin de l’itinérance pour la famille BOUTTÉ. Blimont est nommé comme enseignant à l’école publique de Beauchamps, dans la vallée de la Bresle. André BOUTTÉ, l’aîné des enfants, est âgé de six ans. Il est scolarisé dans la classe de son père.
Rien ne prédestinait André BOUTTÉ à rencontrer Raoul POYEN. La loi de 1882 rendant l’instruction obligatoire de 6 à 13 ans est passée par là. André et Raoul fréquentent la même salle de classe à Beauchamps pendant plusieurs années. Les deux garçons deviennent naturellement des copains et la vallée de la Bresle est leur univers.

André est un très bon élève. Il veut devenir instituteur comme son père. Raoul n’a pas d’autre ambition que de savoir lire et écrire et de chercher un travail dès qu’il quittera l’école.
Les deux garçons quittent presque en même temps la commune de Beauchamps. André BOUTTÉ devient pensionnaire à l’Ecole normale des instituteurs d’Amiens et Raoul POYEN suit ses parents à Rouen où son père tient un commerce.

Mais Raoul est attaché au territoire de sa jeunesse. Il revient quelques années plus tard. Il est embauché chez Eugène PRUVOT. Sa ferme est située sur la route nationale qui traverse le village. Raoul POYEN est domestique de ferme. Il est nourri et logé sur place. André BOUTTÉ occupe son premier poste d’instituteur adjoint à Saint-Blimont, village natal de ses parents. L’avenir s’annonce radieux…
A l’âge de vingt ans, les deux jeunes hommes sont convoqués pour passer devant le Conseil de Révision. Les garçons n’ayant pas encore atteint l’âge de la majorité, l’administration ne prend pas en compte leurs lieux de résidence mais le domicile de leurs parents. André BOUTTÉ doit répondre à la convocation pour se rendre à la mairie de Gamaches, chef-lieu du canton où habitent ses parents. Raoul POYEN est convoqué à Rouen.

Comme Rouen et Amiens sont dans deux régions militaires bien distinctes, André et Raoul n’ont aucune chance d’effectuer leur service militaire ensemble. En effet, le 27 novembre 1913, André rejoint le 128e Régiment d’Infanterie de la Somme alors que Raoul est affecté au 28e Régiment d’Infanterie d’Evreux.

Dix mois plus tard la guerre est déclarée. Dès le début du mois d’août 1914, toutes les unités de l’Armée active doivent se rapprocher des frontières de la Belgique, du Grand-Duché du Luxembourg et de l’Alsace-Moselle.

Les régiments de la 2e région militaire d’Amiens sont envoyés dans le nord du département de la Meuse alors que ceux de la 3e région militaire de Rouen rejoignent le nord-est du département des Ardennes.

Les hommes du 128e RI quittent le train à Dun-sur-Meuse le 5 août. Ceux du 28e RI débarquent à Rethel le 7 août.

Le 22 août, c’est l’épreuve du feu. Le 128e de la Somme combat près de Virton et le 28e dans le secteur d’Anderlues, entre Mons et Charleroi. Les pertes sont importantes pour tous les régiments qui tentent de repousser les Allemands du territoire belge. La grande offensive voulue par Joffre est un échec. Plus de 25 000 Français perdent la vie pendant la Bataille des Frontières, en quelques heures seulement. L’Armée française doit battre en retraite.

Raoul POYEN et André BOUTTÉ sont vivants mais profondément traumatisés, comme le sont presque tous les rescapés. Les victimes ne sont pas des inconnues mais des copains qui partageaient leur quotidien de soldat depuis dix mois.
Le 23 août, après le passage de la frontière pour regagner le territoire national, le 28e RI poursuit sa retraite dans le département du Nord. Le 25 août, il subit le feu de l’artillerie allemande près de Felleries. Les hommes du 28e RI se dirigent ensuite vers Beaurepaire et entrent dans le département de l’Aisne. Ils cantonnent le 26 août dans la commune La Vallée au Blé, entre Vervins et Guise. Trente-trois hommes qui étaient restés endormis au cantonnement sont faits prisonniers par les Allemands.

Le 28 août, le général commandant la 35e Division à laquelle est rattaché le 28e RI donne l’ordre de lancer l’attaque en direction de Guise. Les pertes s’élèvent à plus de 700 hommes dont une majorité est constituée de disparus.
Raoul POYEN est comptabilisé au nombre des disparus. Son décès sera fixé ultérieurement à la date du 28 août 1914, à l’âge de 21 ans, sur le territoire de la commune de Guise dans l’Aisne.

Le 28 août, les hommes du 128e Régiment d’Infanterie d’André BOUTTÉ quittent le département de la Meuse pour celui des Ardennes. Le 128e est en arrière-garde. Les 2e et 3e bataillons du régiment sont désignés pour arrêter leur marche et attendre les troupes allemandes afin de les combattre dans le village de Saint-Pierremont. André BOUTTÉ, affecté à la 7e Compagnie du 2e bataillon, va combattre…
Le 31 août à l’aube, les fantassins français lancent une attaque à partir du hameau de Fontenois. Les Allemands ont passé la nuit à Saint-Pierremont. Loin d’être surpris par l’attaque matinale, ils utilisent cinq batteries d’artillerie pour neutraliser l’offensive française. Les morts et les blessés sont nombreux du côté des Français. En fin de matinée, les rescapés du 128e s’enfuient vers le sud, laissant les blessés et le corps médical aux mains de l’ennemi.
Edmond SELLIER, un copain de Beauchamps, est au nombre des captifs. Blessé par éclat d’obus au mollet droit, il n’a pu quitter le hameau de Fontenois. Il est interné en Allemagne à Wittemberg et ne sera rapatrié que le 8 janvier 1919. Edmond SELLIER, né en 1892 à Beauchamps, a suivi sa scolarité dans la même classe qu’André BOUTTÉ et Raoul POYEN. Celle de l’instituteur Blimont BOUTTÉ.
André BOUTTÉ est toujours vivant. Moins de deux semaines après leurs premiers combats, être en vie tient presque du miracle pour les hommes du 128e !
Quelques jours plus tard, une autre épreuve attend les rescapés. Les combats de ce qui sera appelé la Première Bataille de la Marne débutent le 6 septembre au matin. Les hommes du 128e ont reçu comme mission de garder les ponts sur la Saulx, sur l’Ornain et sur le canal de la Marne. Il faut empêcher les Allemands de franchir les cours d’eau. L’ordre du général Joffre est sans ambiguïté : il faut « se faire tuer sur place plutôt que de reculer » !

Les combats sont particulièrement meurtriers. En 5 jours seulement, du 6 au 10 septembre, dans le secteur de Pargny-sur-Saulx et Maurupt-le-Montois, des centaines d’hommes sont tués. André BOUTTÉ n’ira pas plus loin. Il meurt le 8 septembre au lieu-dit La Tuilerie des suites de ses blessures. Il avait 20 ans.

Blimont, le père d’André, a survécu à la guerre. Mobilisé le 2 août 1914 à l’âge de 45 ans, l’instituteur de Beauchamps a finalement été réformé en janvier 1915 pour paralysie du bras droit. N’aurait-il pas donné sa vie pour que son fils aîné survive ? Le monde s’écroule pour lui… Blimont continuera à exercer sa mission d’enseignant dans des écoles de la Somme après la fin de la guerre. Mais plus rien n’était vraiment comme avant…

Le nom de son fils, André BOUTTÉ, est inscrit sur le monument aux morts de Beauchamps inauguré le 2 juillet 1922. Il est également inscrit sur la plaque commémorative dans l’église Saint-Martin de cette même commune, ainsi que sur le monument d’Abbeville et sur la plaque commémorative située dans les locaux de l’Ecole Normale d’instituteurs à Amiens. Une plaque fixée sur un mur de l’école de Saint-Blimont rappelle qu’il y fut enseignant.

Le nom de Raoul POYEN est inscrit sur le monument aux morts et sur la plaque commémorative dans l’église Saint-Lubin à Incheville. Le jugement de son décès a été rendu par le Tribunal de Dieppe le 12 novembre 1920 avec transcription à Incheville, lieu de son dernier domicile enregistré par l’administration militaire. Raoul avait communiqué l’adresse de sa grand-mère, Florestine CLERENTIN, au hameau de Breuilly à Incheville, adresse qui a justifié son inscription sur le monument du village.
En septembre 1939, quelques jours après la déclaration de guerre, un homme s’est présenté volontairement à la gendarmerie de Beauvais pour déclarer avoir déserté pendant la Première Guerre mondiale. Il a décliné son identité. Raoul POYEN réapparaissait. Il n’était jamais retourné dans la vallée de la Bresle, dans le secteur d’Incheville et de Beauchamps. Comment aurait-il pu croiser le regard de ceux qui appelaient son nom à l’occasion de chaque cérémonie du 11 novembre en y ajoutant la mention « Mort pour la France » ?

Après cette désertion, Raoul a dû tirer un trait sur sa jeunesse et sur ceux qui lui étaient chers. Ne s’étant pas dénoncé après la signature de l’Armistice, il a ensuite été pris au piège du mensonge. Il a vécu dans l’Oise, plus particulièrement dans le Vexin, exerçant différents métiers dans le commerce des poissons et des chiffons, trichant souvent avec des éléments de son identité ou de son passé. Il n’a pas pu épouser la femme avec laquelle il vivait. Il n’a jamais eu d’enfant.

Si les Allemands l’avaient capturé le 28 août près de Guise comme l’ont été plusieurs centaines de copains, Raoul aurait passé toute la guerre dans des camps d’internement. Comme eux, après la signature de l’Armistice, il aurait été rapatrié. Il aurait pu ensuite construire sa vie sans avoir à se cacher en permanence. Le choix de la désertion l’a enfermé pendant plus de vingt années dans une prison à ciel ouvert. Dans une cellule imaginaire emplie d’angoisse, de fuite, de secret, d’oubli, de mensonge… Raoul avait finalement déjà purgé sa peine quand il s’est présenté à la gendarmerie de Beauvais…
Le 9 novembre 1939, le Tribunal civil de Dieppe a annulé le jugement qui avait déclaré le décès de Raoul POYEN le 28 août 1914. Le 6 décembre 1939, le tribunal de la 2e région militaire d’Amiens a rendu une ordonnance de non-lieu concernant le délit de désertion. La page est tournée. Une autre guerre vient de débuter…
Une guerre hélas accompagnée de tant d’autres victimes…
Entre les deux guerres, ayant fait valoir ses droits à la retraite, Blimont BOUTTÉ est revenu vivre à Saint-Blimont, sa commune de naissance. Il s’est installé avec son épouse Joséphine dans la rue Touron au hameau d’Offeux. Blimont est devenu maire de Saint-Blimont, fonction qu’il a occupée de 1934 à 1944.
Son second fils, Antonin, le seul garçon rescapé de la fratrie, avait survécu à la Première Guerre mondiale mais il n’a pas survécu à la seconde. Requis par l’occupant en février 1943, il est mort quelques jours plus tard dans un camion allemand mitraillé par un avion britannique. Il a été reconnu « Mort pour la France » le 19 juillet 1945. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Saint-Blimont. Les deux guerres ont volé à Blimont ses deux fils !
Blimont BOUTTÉ est mort le 13 janvier 1952 à l’âge de 82 ans.
Xavier BECQUET
Merci à Michel CONROUX pour les renseignements fournis sur la vie de la famille BOUTTÉ et merci à Philippe HELYE pour ses recherches sur Raoul POYEN
Remarque : Le nom de la Seine-Inférieure a été remplacé par celui de Seine-Maritime en 1955.
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