De l’automne 1914 au printemps 1917, le Nord-Est du département de la Somme est sous occupation allemande.
Les femmes et les hommes qui n’ont pas quitté les communes des cantons de Péronne et de Roisel sont aux mains de l’ennemi. Les troupes du Kaiser Guillaume II s’installent et prennent possession de tous les bâtiments publics.
Les femmes, les enfants, les vieillards ainsi que les hommes qui n’ont pas été mobilisés pour l’Armée française au mois d’août 1914 sont progressivement déplacés vers la Belgique ou l’Allemagne. Le territoire devient allemand. Les pendules des églises sont mises à l’heure allemande. Les villages du Nord-Est de la Somme deviennent des lieux de casernement, de soins et de repos pour les soldats allemands qui combattent sur le front de la Somme. A la fin de la Bataille de la Somme, en novembre 1916, le front repoussé par les Alliés jusqu’à Combles et Chaulnes n’est plus qu’à quelques kilomètres de Péronne. Les prisonniers civils ont presque tous été évacués vers d’autres territoires occupés par les Allemands.

Le 16 mars 1917, l’ordre est donné aux Allemands occupant les villages de l’arrondissement de Péronne de se replier jusqu’à la ligne Hindenburg (appelée également ligne Siegfried) qui relie Lens à Soissons en passant par Saint-Quentin. Le front est alors réduit de 45 kilomètres environ libérant 13 divisions allemandes. L’année 1916 a été particulièrement meurtrière dans les rangs des armées d’Outre-Rhin. Au début du printemps 1917, en quelques jours seulement, les Allemands quittent le département de la Somme.
Mais avant de quitter les lieux, ils appliquent la politique de la terre brûlée.

Ernst Jünger écrira dans le chapitre consacré à la Retraite de la Somme de son livre « Orages d’acier »: « Jusqu’à la position Siegfried, chaque village n’était plus qu’un monceau de ruines, chaque arbre abattu, chaque route minée, chaque puits empoisonné, chaque cours d’eau arrêté par des digues, chaque cave crevée à coups d’explosifs ou rendue dangereuse par des bombes cachées, chaque rail déboulonné, chaque fil téléphonique roulé et emporté, tout ce qui pouvait brûler avait flambé ; bref, nous changeâmes le pays en désert, en prévision de l’avance ennemie ».
Les troupes britanniques et françaises quittent le front de la Bataille de la Somme pour se rapprocher de la ligne Hindenburg où les combats vont se poursuivre.
En traversant les territoires des communes, elles sont confrontées à un paysage de désolation.
A Doingt, petit village mitoyen de la cité de Péronne, comme dans tous les villages, les dégâts sont très importants. L’église Notre-Dame de l’Assomption a été détruite.

C’est vraisemblablement lors du passage des Britanniques dans le village que le révérend Percy Parson HOOSON, aumônier militaire, découvre, au milieu des ruines, un crucifix presque intact. Il l’emporte avec lui.
L’abbé CARTON, curé de la paroisse, de retour dans son village quelques jours plus tard constate l’ampleur des dégâts : « Pour arriver à l’autel, il m’a fallu gravir un amas de décombres, de morceaux de plafond ou de voûte, de débris de la chaire, de briques d’ardoises, que sais-je ? Les colonnes se sont couchées dans ces ruines. Je n’ai rien retrouvé des blanches statues. »
L’abbé CALIPPE se rend également sur place et constate que « l’autel est dépouillé comme au Jeudi-Saint. Plus de candélabres, plus de cierges, plus de crucifix ! ».
Suite au départ des Allemands, des habitants qui avaient pu gagner des zones non occupées avant l’arrivée de l’ennemi fin septembre 1914, reviennent et commencent à envisager la reconstruction des bâtiments publics et des logements. Mais devant l’ampleur de la tâche et la proximité du nouveau front, à 30 km à peine, beaucoup d’entre eux repartent.

L’offensive Michaël menée par les Allemands un an plus tard amène ces derniers à traverser à nouveau le Nord-Est du département en direction d’Amiens et de Paris.
Quand la contre-offensive alliée parvient à repousser définitivement du territoire de la Somme les troupes allemandes à l’été 1918, la destruction des villages autour de Péronne est totale.
Le village de Doingt abrite ensuite une unité médicale chargée d’assurer les premiers soins et d’orienter les blessés vers les hôpitaux de l’Ouest du département de la Somme. Pour inhumer les victimes n’ayant pu être sauvées, un cimetière britannique est créé à côté du cimetière communal.

Après la guerre, le révérend Percy Parson HOOSON rejoint sa paroisse d’Easton-on-the-Hill en Angleterre avant d’être nommé, quinze ans plus tard, recteur à Tinwell, petite commune du Nord-Est de l’Angleterre. Ayant précieusement conservé le crucifix de Doingt, il l’installe en bonne place dans l’église du village.

Un siècle après la fin de la Grande Guerre, l’histoire de ce crucifix a ressurgi du passé. June DODKIN, enseignante en retraite et en charge de la gestion administrative de l’église de Tinwell a pu retracer cette histoire à partir du témoignage d’un ancien du village et des cahiers écrits par le révérend HOOSON. La découverte a été communiquée à la commune de Doingt-Flamicourt puis très vite la décision de rendre le crucifix a été prise par l’équipe paroissiale de Tinwell.
En 2023, en ce jour hautement symbolique pour les Britanniques du 1er juillet (1), le crucifix a retrouvé sa place dans l’église reconstruite Notre-Dame de l’Assomption de Doingt. Une cérémonie particulièrement émouvante et chaleureuse a été organisée par l’association Mémoire de Doingt-Flamicourt en partenariat avec la commune et les membres de la délégation anglaise.

Un siècle après la fin de la guerre, la restitution du crucifix de Doingt a été l’occasion d’offrir à tous les participants un très beau moment de partage et d’amitié.
Xavier BECQUET
Merci à Hubert BOIZARD, Alain BARBIER et à l’équipe de « Mémoire de Doingt-Flamicourt »
(1): le 1er juillet 1916, sur un front d’environ 12km au Nord de la ville d’Albert, 20 000 soldats de l’Armée britannique ont été tués et 35 000 y ont été blessés. Le 1er juillet 1916 est le jour le plus meurtrier de l’histoire du Royaume-Uni.
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