ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – les moulins POUSSART

Né le 6 août 1896, Marius POUSSART est le fils de Julien POUSSART et d’Ernestine DOURLENS.

La famille POUSSART est une famille de meuniers à Naours. Au début du XIXe siècle, il y avait encore 6 moulins à vent sur le territoire de Naours, commune située au Nord d’Amiens dans le canton de Domart-en-Ponthieu. Quand Marius vient au monde, il n’en reste plus que 2. Ils sont situés sur le plateau à l’entrée Sud du village, de part et d’autre de la route venant d’Amiens et de Flesselles.

Les deux moulins à blé sont exploités par Célestin POUSSART, le grand-père de Marius, aidé par ses trois fils Célestin-fils, Julien et Octave. La grand-mère paternelle, Adélina DAMAGNEZ, est issue également d’une famille de meuniers du village de Naours patronyme qui avait été attribué à un des moulins disparus. Devenus adultes, ce sont les deux fils aînés, Célestin-fils et Julien qui reprennent l’exploitation des deux moulins. Octave, le benjamin, abandonne le métier de meunier pour devenir ouvrier. A Naours, l’activité est essentiellement agricole. Il y a pourtant de nombreux ouvriers. Si le teillage du lin disparaît progressivement, la confection à domicile de chaussures pour des fabricants amiénois ou la confection de sacs pour les usines de la Vallée de la Nièvre occupent de nombreux habitants du village, y compris des enfants. Comptant plus de 1 200 âmes, Naours est un bourg assez important dans le canton.

Julien et Ernestine POUSSART, les parents de Marius, résident Rue de la Croix. Ils se sont mariés le 29 octobre 1887. Numa, leur premier enfant, est né le 7 août 1888. Marius naît 8 ans plus tard, presque jour pour jour. Il n’y aura pas d’autre enfant dans la fratrie. Deux garçons. Deux futurs meuniers ?

Numa et Marius suivent leur scolarité dans la classe de Monsieur LOUETTE, l’instituteur public.

Dès qu’ils le peuvent, les garçons aiment sortir du village pour rejoindre leur père et leur oncle Célestin sur le plateau Sud en direction d’Amiens. Voir tourner les ailes des moulins est un plaisir dont ils ne se lassent jamais.

Au lieu-dit Le moulin, Numa et Marius retrouvent souvent leurs cousins germains, Emilia, Jeanne et Homère, les enfants de l’oncle Célestin et de leur tante Florine DUFRANCATEL.

Adolescents, Numa, Marius et leur cousin Homère travaillent avec leurs pères aux moulins de Naours.

En 1907, Julien POUSSART décide de tenter une nouvelle aventure. Avec femme et enfants, il quitte Naours pour le village voisin de Canaples. Il quitte son moulin à vent pour un moulin à eau installé sur la rivière La Fieffes. A Canaples, il n’y a plus de moulin à vent au début du XXe siècle. Il subsiste deux moulins à eau, un moulin à blé à la confluence de la Fieffes et de la Nièvre exploité depuis 1903 par Charles HOCHIN et ses deux fils et un autre moulin sur la Fieffes ayant jadis appartenu aux Seigneurs de Canaples.

Mais l’expérience tourne court pour Julien POUSSART. L’herbe lui était-elle parue trop verte ? Est-ce le départ au service militaire de Numa, le fils aîné, qui change la donne ? Est-ce la santé fragile de Marius, le cadet, qui impose de retrouver un environnement moins humide ? Trois ans après leur arrivée à Canaples, les POUSSART retournent à Naours. Julien, Ernestine et Marius résident ensemble dans une petite maison de la Rue de la Poste. Julien aidé par Marius reprend l’exploitation du moulin à vent situé près de celui de son frère. A la fin de son service militaire, en octobre 1911, Numa rejoint la famille dans la Rue de la Poste et retrouve son métier de meunier.

Le 1er août 1914, l’ordre de Mobilisation général est décrété. Chez les POUSSART comme dans la plupart des familles de Naours, l’angoisse commence. Numa est mobilisé. Comme tous ceux du village qui ont entre 23 et 30 ans, il se rend à la gare de Flesselles le 2 août. Le train doit les transporter vers leur ville de garnison. Numa est affecté au 51e Régiment d’Infanterie de Beauvais, unité où il a effectué ses deux années de service militaire obligatoire. Contrairement aux copains du 51e RI jugés aptes dès leur arrivée, Numa POUSSART ne quitte pas la Picardie le 5 août au matin pour rejoindre l’Est de la France. Numa s’est gravement blessé à la cuisse quand il exerçait son métier de meunier à Naours. Convoqué devant la Commission de réforme de Beauvais, il est renvoyé provisoirement dans ses foyers dès le 8 août pour « brûlure étendue de la cuisse ». Numa est un des seuls hommes de sa classe d’âge à retrouver aussi rapidement son village, un village habité de femmes, de vieillards et d’enfants. Son frère Marius, âgé d’à peine 18 ans, est encore trop jeune pour partir à la guerre.

Comme par miracle, alors que plusieurs centaines de milliers d’hommes ont déjà été victimes de la guerre, la famille de Julien et Ernestine POUSSART est encore au complet à l’automne et pendant l’hiver 1914-1915.

Convoqué le 18 mars 1915 devant une Commission médicale à Boulogne-sur-Mer, Numa est jugé apte pour partir à la guerre. Il est affecté à la 2e Section d’Infirmiers.

Son frère cadet Marius est mobilisé le 21 mai 1915. Il rejoint le 27e Régiment d’Infanterie de Dijon pour y suivre l’instruction militaire indispensable à ceux qui n’ont pas encore effectué leur service national. C’est à Dijon que Marius apprend la terrible nouvelle. Son frère Numa vient de mourir. Foudroyé par la maladie, il est décédé à l’hôpital temporaire N°40 de Saint-Ouen dans la Somme le 23 juillet. Quelques semaines plus tard, malgré son état de santé dégradé – il est victime d’un psoriasis généralisé – Marius est déclaré apte au combat. Affecté à la 8e Section d’Infirmiers de Dijon, Marius ne combat pas avec une arme. Marius lutte contre la mort au quotidien. Celle des autres… mais aussi la sienne.  Pendant plusieurs mois, les régiments du 8e Corps d’Armée livrent de terribles combats dans le secteur de la Woëvre, à l’ouest de Verdun. Certaines positions sont écrasées par des bombardements d’une violence inouïe d’obus de gros calibre, dont une forte proportion d’obus asphyxiants. Les Français parviennent souvent à résister à l’assaut des Allemands mais au prix de pertes très importantes. Les blessures sont graves. Les infirmiers côtoient l’horreur.

Blessés et malades sont entassés dans des hôpitaux temporaires pour recevoir les premiers soins avant d’être évacués vers l’arrière quand leur état le permet. Certaines maladies sont très contagieuses. La protection des soignants est souvent presque nulle. Le mal est entré dans les poumons de Marius.

Quelques jours avant la signature de l’Armistice, Marius est reconnu inapte au service armé. Les séjours dans les hôpitaux militaires n’ont pas réussi à le guérir. Marius est finalement réformé le 26 mars 1919 avec attribution d’une pension de 80%. Marius n’est pas qu’inapte au service armé, il est maintenant devenu inapte à tout travail, à tout effort. Les commissions médicales successives ne trouvent aucune amélioration de son état : « tuberculose pulmonaire avec état général médiocre ».

Marius POUSSART se retire à Naours. Il retrouve son père et sa mère, emplis du bonheur de voir un de leurs deux fils rentrer vivant. Marius tentera d’exercer encore le métier de meunier et d’aider son père malgré de douloureux problèmes respiratoires. La maladie gagne du terrain en permanence. Le 15 mai 1924, Marius s’éteint dans son lit. Il ne sera jamais déclaré Mort pour la France et son nom ne sera jamais inscrit sur le monument aux morts de Naours, à côté de celui de son frère Numa.

Julien POUSSART est mort quelques mois seulement après son dernier fils.

Ernestine Veuve POUSSART a fini sa vie dans la petite maison familiale de la Rue de la Poste à Naours. Seule. Désespérément seule.

Les ailes des moulins à vent de Naours ont cessé de tourner dans les années 1920. Au lieu-dit Le Moulin, les deux moulins des frères POUSSART ont été démontés.

Dans les années 1960, deux moulins à pivot ont été importés du Nord de la France et de Belgique pour être réinstallés à Naours. Ils ont été positionnés sur la colline du Guet, au-dessus de la Cité souterraine, ancienne carrière calcaire utilisée par la population locale pour trouver refuge en cas d’invasion. Au lieu-dit Le Moulin, à l’entrée du village en venant d’Amiens et de Flesselles, s’il n’y a plus de moulin depuis plus d’un siècle, l’esprit des POUSSART habite encore un peu les lieux.

L’esprit des deux fils POUSSART que la guerre a empêché de vieillir. Numa a 26 ans et Marius a 27 ans pour toujours…

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

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