

Texte français par Xavier BECQUET – traductions par Mathieu LOW KAME)

Ils avaient tous entre 20 et 23 ans, et effectuaient leur service militaire à l’approche de la Première Guerre Mondiale. La déclaration de guerre les a envoyés immédiatement en première ligne, où ils furent les premiers à livrer le combat contre les Allemands. Le 22 août 1914, date la plus sanglante de l’Histoire de France avec ses 25 000 morts français.
Près de 300 jeunes hommes originaires du département de la Somme ont perdu la vie en raison des combats du 22 août 1914 en Belgique, dont au moins 191 qui ont été tués ou qui ont disparu dans le petit village de Bellefontaine (province du Luxembourg).
Nombreux sont ceux qui ont été blessés. Ils ont alors été soignés sur place, transportés par les Français ou emmenés par les Allemands en captivité. Certains n’ont pas survécu à leurs blessures. D’autres ont vécu ensuite les horreurs d’autres combats, notamment la Bataille de la Marne, la Bataille de Verdun ou encore la Bataille de la Somme.
Beaucoup d’autres jeunes hommes originaires de la Somme ont été tués dans les communes voisines (Houdrigny, Meix-devant-Virton, Villers-la-Loue, Virton…) ou dans la région de Namur.
Notre association s’est donné pour mission d’honorer la mémoire de ces jeunes. Parce qu’avant d’être des soldats, ils étaient des fils, des pères, des frères, des oncles ou des cousins. Parce qu’avant d’être morts pour la France pendant la Grande Guerre, ils étaient des hommes.
OÙ SE SITUE BELLEFONTAINE ?
Bellefontaine est une section de la commune de Tintigny, située en Région wallonne dans la Province de Luxembourg, en Belgique.

L’étymologie de Bellefontaine est l’évidence même : cette dénomination qui apparaît dès 1251 a sans conteste été donnée à la localité en raison des nombreuses sources et fontaines qui jaillissent en divers points de son territoire. La tradition rapporte que les filles d’un seigneur des environs venaient prendre leurs ablutions à une fontaine du village. Cette fontaine fut appelée «fontaine des belles » et le village fut baptisé : Belle-Fontaine.
Le village de Bellefontaine se situe à l’emplacement exact de l’ancienne chaussée romaine reliant Reims à Trèves, dite chaussée Brunehaut.

Il semble bien que la localité soit contemporaine de cette voie impériale. Ces lointaines origines (fin du IIIe siècle) sont d’ailleurs attestées par les substructions d’une «villa » agricole romaine importante qui furent mises à jour, vers 1860, au lieu dit «la Coue ». Des fragments de poterie, des pièces de monnaie et des vestiges de tombeaux y furent découverts.
Affranchi à la loi de Beaumont en 1258 par le Comte Arnould III de Chiny, Bellefontaine fit, pendant des siècles, partie intégrante de la seigneurie de Villemont qui relevait elle-même du comté de Chiny, jusqu’à la révolution française.
En 1797 (l’an V de la république), la localité fut érigée en commune dans le Département des Forêts. Elle se composait de 3 villages : Bellefontaine, Saint-Vincent et Lahage.
Le 1er janvier 1977, Bellefontaine, au même titre que Saint-Vincent et Lahage, devint une section de Tintigny ( voir le site de la commune http://www.tintigny.be/)

Le samedi 22 août 1914 un combat sanglant opposa les Français et les Allemands. En 1917, un cimetière fut érigé à l’orée du bois, face au champ de bataille. Dans ce cimetière du « Radan » où un bel obélisque domine des centaines de petites croix de granit, reposent 527 Français et 238 soldats allemands. 52 de ces Français sont originaires du département de la Somme. Ce cimetière est inscrit depuis septembre 2023 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO (voir l’article publié sur notre site).

L’association « De la Somme à Bellefontaine » a érigé un panneau mémorial pour rendre hommage aux jeunes hommes originaires de la Somme qui ont perdu la vie dans ce village le 22 août 1914. Le panneau, inauguré le 26 août 2018, a été placé à proximité du monument aux morts du village.
QUE SE PASSE-T-IL AVANT LE 22 AOÛT ?
Samedi 1er août 1914
L’Allemagne déclare la guerre à la Russie.
La Belgique, la France et l’Allemagne décrète la mobilisation générale.
Les troupes allemandes envahissent le Grand Duché du Luxembourg par les ponts de Wasserbillig et de Remich. L’armée luxembourgeoise, forte d’une compagnie de 170 volontaires, ne peut résister.
En France, toute la population va bientôt découvrir les affiches confirmant la mobilisation et les hommes âgés de moins de 40 ans savent qu’il leur faudra bientôt quitter leurs familles.
Les jeunes conscrits des classes 1911, 1912 et 1913 sont eux bien loin. Ils sont déjà sur le terrain. Beaucoup de ces jeunes, âgés de 20 à 23 ans, ne pourront jamais dire au revoir à leurs parents. L’ordre de mobilisation les entraîne immédiatement dans la violence d’une guerre imminente. Ils seront mis en première ligne.
Dès le 1er août, la 4e division d’infanterie, dirigée par le général Rabier, reçoit l’ordre de couvrir au plus tôt la frontière belge de la région du Luxembourg. Cette division est rattachée à la IVe armée du général de Langle de Cary.
La 4e division est composée de la 7e brigade (général Lejaille ; 91e Régiment d’infanterie (Mézières) et 147e Régiment d’infanterie (Sedan)) et de la 87e brigade d’infanterie (général Cordonnier ; 120e Régiment d’infanterie (Péronne-Stenay), 9e Régiment de chasseurs à pied (Lille-Longuyon) et 18e régiment de chasseurs à pied (Amiens-Longuyon)).
Le commandement de la 4e division reçoit l’ordre de rapprocher toutes ses troupes de la frontière belge. Il s’agit de régiments constitués de jeunes hommes, âgés de 20 à 23 ans, qui effectuent leur service militaire.
Le 120e régiment d’infanterie a quitté la ville de Stenay pour cantonner à Jametz.
Le 18e régiment de chasseurs à pied quitte Longuyon pour se diriger vers Arrancy et Spincourt.
Le 9e régiment de chasseurs à pied le remplace à Longuyon.
Le 147e régiment d’infanterie quitte Mézières et se rend à Marville et Saint-Jean les Longuyon.
En France, l’ordre de mobilisation est affiché en fin d’après-midi dans la plupart des communes, accompagné par le tocsin sonné par les cloches des églises. En Belgique, les scènes sont identiques. Les hommes vont devoir partir pour accomplir leur devoir.
Dimanche 2 août
Pendant ce temps, dans les communes françaises, les hommes rejoignent les gares et les haltes de chemin de fer, sans enthousiasme mais sans angoisse excessive. La guerre va être courte. Beaucoup le pensent et souhaitent pouvoir rapidement venir terminer la moisson. Les jeunes conscrits de la 87e brigade commencent, pour leur part, à sentir le danger grandir.
Marcel Carouge, d’Abbeville, jeune appelé du 120e RI, incorporé le 27 novembre 1913, déclarera quelques années plus tard : « Le 2 août, ce fut la mobilisation générale. Sur le champ, nous vîmes s’illuminer les visages de nos officiers. Eux comprenaient l’imminence du danger. »
L’Allemagne pose un ultimatum et exige que la Belgique laisse passer les troupes allemandes sur son territoire sans opposer la moindre résistance. Cet ultimatum est repoussé par le gouvernement belge.
Lundi 3 août
L’Allemagne déclare officiellement la guerre à la France.
Le chemin de fer permet d’acheminer des dizaines de milliers de mobilisés vers la frontière avec la Belgique. Les troupes françaises s’installent peu à peu dans les départements frontaliers du nord-est. Il faut faire barrage à l’ennemi quand il aura fini de traverser la Belgique.
Mardi 4 août
Les Allemands franchissent la frontière et entrent en Belgique sans encombre.
Mercredi 5 août
La Grande-Bretagne entre en guerre contre l’Allemagne.
La Belgique demande de l’aide à la France et à la Grande-Bretagne.
Plus d’1 million et demi d’Allemands, dirigés par le comte Helmut Johannes Ludwig von Moltke s’apprêtent à traverser le territoire de la neutre Belgique pour envahir la France.
Les 5 et 6 août, plusieurs missions de reconnaissance de la cavalerie française franchissent la frontière pour localiser l’ennemi. L’aviation française installe des bases pour lancer des missions d’observation. L’une d’elle est située à Stenay, derrière la caserne du 120e RI.
Lundi 10 août
Une des premières incursions des Allemands sur le territoire français se situe dans le secteur de Mangiennes. Le 130e RI, repoussera l’ennemi en quelques heures, au prix de nombreuses pertes humaines, avec l’aide du 120e RI, appelé en renfort, et appuyé par une batterie de 75 du 42e Régiment d’artillerie. Plus de vingt Allemands sont faits prisonniers.
Les pertes du 120e RI s’élèvent seulement à trois blessés.
Les visages sont radieux chez les Français qui pensent que la victoire sera facile et que la guerre va se terminer rapidement.
Le général Cordonnier déclare : « La guerre sera bientôt terminée… D’ailleurs, on va attaquer. »
Pendant plusieurs jours, dans la région située autour de Bellefontaine, on y verra alternativement des cavaliers français et des cavaliers allemands en mission de reconnaissance. Dans certains cas, ils se rencontreront.
Le 13 août, plusieurs éclaireurs Allemands sont tués entre Saint-Vincent et Bellefontaine, et deux blessés sont soignés à la Croix-Rouge de Bellefontaine.
Le 14 août au soir, c’est une patrouille française de reconnaissance qui reçoit un feu nourri. Il y a 6 blessés.
A partir du 15 août, les troupes allemandes s’approchent de la frontière et s’installent dans les villages. Ils entrent dans Saint-Vincent et prennent quinze civils en otages. Ils coupent les fils téléphoniques de la gare. A Bellefontaine, ils réquisitionnent les chevaux. A Tintigny, ils se livrent à de nombreuses scènes de pillage.
La Croix-Rouge, installée dans l’école des filles de Bellefontaine, reçoit plusieurs blessés allemands.
Même si des Allemands sont présents, la population civile continue à voir, de temps en temps, des patrouilles de reconnaissance françaises.
La situation se durcit peu à peu entre la population civile et les Allemands. L’occupant se montre de plus en plus agressif et n’hésite pas à menacer, revolver au poing, pour obtenir nourriture et boisson.
L’armée française, renforcée par les mobilisés de début août, prend position à proximité de la frontière, sur un front allant de l’Alsace jusqu’aux Ardennes, les alliés britanniques se positionnant, quant à eux, plus à l’ouest.
Le 20 août au soir, le général Joffre autorise le général de Langle de Cary, commandant de la IVe armée, à franchir la frontière et à avancer au-delà de la Semoy, en direction de Neufchâteau, et d’attaquer l’ennemi partout où il le rencontre.
Les troupes se mettent en marche pour appliquer cet ordre.
Vendredi 21 août
Au matin le 120e Régiment d’infanterie arrvie au sud de Velosnes et en fin d’après-midi, il reçoit l’ordre de se porter à Meix-devant-Virton.
Les 3 bataillons du régiment logent dans des granges à Meix, village situé dans la vallée, au pied du plateau de Bellefontaine.
Le 18e Bataillon de Chasseurs à Pied passe la nuit à Sommethonne et le 9e BCP à Thonne-la-long.
Les Allemands ont provisoirement quitté le village de Bellefontaine pour se replier au-delà de Tintigny et regrouper les troupes qui assureront l’offensive du lendemain.
La nuit est pluvieuse et orageuse. Elle sera très courte pour tous.
LA JOURNÉE DU 22 AOUT 1914 À BELLEFONTAINE
22 aout 1914 – 4h30 du matin
Le 18e Bataillon de Chasseurs à Pied se met en action, suivi du 9e BCP.
22 aout 1914 – 5h00
Le 2e bataillon du 120e régiment d’infanterie quitte Meix-devant-Virton, suivi des 3e et 1er bataillon.
Leur objectif commun : atteindre le village de Bellefontaine, puis le dépasser pour franchir la Semoy à Tintigny et arriver, le soir, à Léglise, en ayant repoussé l’ennemi bien plus loin. En l’ayant fait fuir pour qu’il repasse les frontières, quitte le sol de la Belgique neutre et retourne à Berlin…
La 87e brigade, dirigée par le général Cordonnier, constituée du 18e BCP, du 9e BCP, du 120e RI et du 42e RAC doit repousser les Allemands, comme toutes les autres brigades des autres corps d’armée. Elle est positionnée dans cette partie de la province de Luxembourg, en Belgique, située à l’ouest de Virton. Le maréchal Joffre a donné l’ordre de toujours aller de l’avant. Et cet ordre devra être respecté, coûte que coûte. La 87e brigade atteindra le plateau de Bellefontaine, le 22 août au matin. Les Allemands les attendent, installés dans les bois situés en lisière de la plaine du Radan.
Les hommes du 120e RI seront les premiers à s’engager dans cette plaine. Ne disposant d’aucun appui d’artillerie, en raison d’un brouillard particulièrement épais, ils avanceront. Ne sachant pas ce qui les attend. Ne sachant pas que l’ennemi les attend.
Le général Cordonnier déclarera « On n’a pas d’artillerie, mais on s’en passe, en se battant comme des lions ». Les lions n’iront pas loin, fauchés par les mitrailleuses des Allemands.
LA PLAINE DU RADAN DE BELLEFONTAINE
En quelques heures, près de 600 jeunes du 120e régiment d’infanterie perdront la vie dans la plaine du Radan, à Bellefontaine et plus de 500 y seront blessés.
Ce 120e régiment d’infanterie, décimé dès le début de la guerre, est constitué d’un nombre important de jeunes hommes originaires du département de la Somme, en France.
A l’exception de quelques escarmouches, plus ou moins meurtrières, autour de la frontière entre la France et la Belgique après la déclaration de guerre du 3 août, les vrais combats se sont engagés le 22 août 1914. De Mons et Charleroi à la frontière mosellane, les pertes s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers d’hommes. Ce samedi sanglant est vraisemblablement un des jours les plus meurtriers de l’histoire de France.
LE DEPARTEMENT DE LA SOMME ET BELLEFONTAINE
Dans plus d’une commune sur cinq du département de la Somme, au moins un nom inscrit sur le monument aux morts concerne les combats du 22 août 1914 dans le village de BELLEFONTAINE, en Belgique.

A Amiens, il y a 13 noms. A Abbeville, il y en a 6. Dans certains villages, on en compte 3, comme à Equancourt, Fontaine-sur-Somme ou Woignarue.
Tous les cantons du département de la Somme sont concernés.
Même si les transcriptions de décès n’ont été transmises en France, dans la plupart des cas, qu’en 1919 ou 1920 (cette région de la Belgique a été occupée par les Allemands d’août 1914 à novembre 1918), les jeunes tombés le 22 août 1914 sont bien les premières victimes de ces communes pendant la Grande Guerre. On peut donc considérer qu’au moins 147 communes du département de la Somme sont concernées directement par les combats qui ont eu lieu le 22 août 1914 sur le territoire de Bellefontaine.
191 jeunes de la Somme y ont perdu la vie.
