ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – un futur vainqueur du Tour de France

Né le 5 avril 1889, Emile ENGEL est le fils de Jean ENGEL et de Caroline MARTZ.

Jean et Caroline ont quatre enfants : Eugène, Marguerite, Louis et Emile, le benjamin de la fratrie. La famille ENGEL réside en région parisienne. Les parents ont vécu à Paris puis à Saint-Denis avant de s’installer à Colombes dans la rue du Havre. Tout en restant dans cette cité du nord-ouest de Paris, la famille change à plusieurs reprises de logement. Leurs adresses seront : rue du Chemin de fer, rue de la Pointe, rue du Centre…  Jean, le père de famille, exerce le métier de grillageur.

Après la fin de sa scolarité, Emile ENGEL devient mécanicien. Il partage la même passion que ses frères pour la bicyclette.

Son frère Louis, de trois ans son aîné, commence à pratiquer le cyclisme en compétition. Emile ne tarde pas à l’imiter.

Louis ENGEL (photo Agence ROL – gallica.bnf.fr)

En 1908, Emile ENGEL termine 2e au championnat de France en catégorie amateur derrière Paul MAZAN. L’épreuve, créée en 1899, connaît déjà un beau succès même si une autre course réunit les professionnels depuis 1907. Les résultats sont prometteurs et Emile envisage de faire du cyclisme sa profession principale. Il devient cycliste professionnel indépendant en juin 1909 et gagne la course Paris-Le Mans en 1910. La même année, il obtient une 3e place à Paris-Roubaix. Mais s’il veut atteindre les sommets, il lui faut trouver une équipe qui l’embauche. Avant cela, il doit répondre à l’appel de la nation. Le Conseil de Révision l’a jugé apte. Le départ au service militaire est programmé à l’automne 1910.

Rien ne prédestinait Emile, le Parisien, à vivre pendant deux ans dans le département de la Somme. Les communes au nord de Paris dépendent administrativement de la 2e région militaire dont l’état-major est installé au Quartier Dejean à Amiens. Emile reçoit son affectation pour rejoindre la préfecture de la Somme. Il pouvait s’attendre à rejoindre une section de cyclistes d’un bataillon de chasseurs, mais il n’en est rien. Emile est affecté au 72e Régiment d’Infanterie.

Le 5 octobre 1910, Emile arrive à la gare Saint-Roch d’Amiens. Des dizaines de jeunes hommes forment rapidement un cortège pour rejoindre la caserne Friant distante de quelques centaines de mètres seulement. Emile ENGEL va partager le quotidien de centaines de jeunes appelés venus, pour la plupart, de communes du département de la Somme. On parle beaucoup picard au 72e RI !

Malgré les contraintes militaires, Emile parvient à s’entrainer assez régulièrement. Son palmarès de coureur amateur ne laisse pas indifférents certains officiers qui lui laissent assez souvent la liberté de pratiquer le vélo. Il peut profiter des installations du vélodrome du boulevard de Châteaudun situé à proximité de son lieu de casernement.

Le vélodrome du boulevard Châteaudun à Amiens
(photo prise en 1899 – Arch. Municipales Amiens 10Z 2978

Après quelques mois dans la caserne, Emile a acquis une certaine popularité. Démobilisé en septembre 1912, Emile retourne à Colombes. Il veut atteindre rapidement son objectif : devenir cycliste professionnel !

Son frère Louis a déjà atteint son objectif. En 1912, il obtient une 2e place au championnat de France derrière Octave LAPIZE et une belle 15e place au classement du Tour de France.

Emile ENGEL (photo Agence ROL – gallica.bnf.fr)

Emile redevient professionnel et parvient ensuite à se faire embaucher par l’équipe Peugeot-Wolber. Si la fin de l’année 1912 est avant tout destinée à lui permettre de retrouver un bon niveau de performance, l’année 1913 est celle des premiers succès. Emile gagne une étape du Tour de Belgique et accroche à son palmarès deux secondes places dans les courses Paris-Tours et Paris-Menin.

Parcours du Tour de France 1913 (gallica.bnf.fr)

Il obtient de très bons résultats sur le Tour de France avec une belle 2e place dans la 15e étape derrière le belge Marcel BUYSSE et une prometteuse place de 10e au Classement général de l’épreuve gagnée par le grand champion Philippe THYS. Les débuts professionnels d’Emile ENGEL sont particulièrement réussis !

Emile ENGEL, 10e au classement général du Tour de France, entrant dans le vélodrome du Parc des Princes le 27 juillet 1913 (photo Agence ROL – gallica.bnf.fr)

Considéré comme un des leaders de la toute puissante équipe Peugeot, ENGEL partage la vedette avec Jean ALAVOINE, François FABER, Henri PELLISSIER et Philippe THYS. Pour cette équipe de champions, l’objectif de 1914 est tout naturellement de gagner le Tour de France.

Parcours du Tour de France 1914 (L’Auto-Journal – bnf.gallica.fr)

Troisième de la deuxième étape, Emile ENGEL frappe un grand coup en gagnant le surlendemain à Brest. Lors de l’arrivée de la 8e étape à Marseille, l’arrivée au sprint ne permet pas de définir le vainqueur. L’organisation applique alors le point du règlement qui consiste à faire disputer la victoire sur le vélodrome le plus proche avec demi-finale et finale. C’est Octave LAPIZE qui sort vainqueur de cette ultime épreuve. Emile ENGEL a chuté pendant cette course, bousculé, d’après lui, par un des concurrents. Furieux que ce coureur ne soit pas déclassé, ENGEL s’en prend au commissaire contrôleur. La direction de l’épreuve le met hors course pour « grossièretés et voies de fait ». Emile ENGEL est considéré comme un coureur « sanguin ». Emile ENGEL rentre à Paris. Le Tour de France 1914 est fini pour lui. Il ignore que cette course est la dernière à laquelle il participe…

Philippe THYS, triple vainqueur du Tour de France en 1913, 1914 et 1920 (photo Agence ROL – gallica.bnf.fr)

L’équipe Peugeot a réussi son pari. Elle obtient les 3 premières places avec le belge THYS en vainqueur, suivi par PELISSIER et ALAVOINE. Louis ENGEL, le frère aîné d’Emile, coureur dans l’équipe Delage-Continental, termine à la 42e place de ce 11e Tour de France.

Le 2 août 1914, Emile ENGEL répond à l’ordre de mobilisation générale. Il doit rejoindre la 11e compagnie du 72e RI à Amiens. Le 5 août, les hommes du régiment quittent la Somme pour gagner le nord du département de la Meuse, près de la frontière belge. Placés en réserve près de Villers-la-Loue en Belgique, ils sont relativement épargnés pendant la Bataille des Frontières du 22 août. Par contre, ils subissent d’importantes pertes les 27 et 28 août à Cesse, dans la Meuse, pendant la retraite de l’Armée française.

Un mois plus tard, le régiment amiénois est en position au sud du département de la Marne. Ses hommes reçoivent pour mission de défendre les ponts sur les rivières Saulx et Ornain et ceux sur le canal de la Marne au niveau de la commune de Pargny-sur-Saulx. Ils doivent attendre les troupes allemandes puis reçoivent comme ordre de résister jusqu’à la mort plutôt que de laisser l’ennemi poursuivre sa route vers le sud. Les combats sont particulièrement meurtriers entre le 6 et le 10 septembre. Les villages de Pargny-sur-Saulx et de Maurupt-le-Montois sont détruits.

Le caporal Emile ENGEL est tué pendant les combats de la Bataille de la Marne. Son décès peut être fixé au 10 septembre 1914, date confirmée par André DELATTRE, soldat dans la même compagnie, dans son carnet de guerre.

Le 72e RI a été décimé. Plusieurs copains du service militaire sont au nombre des victimes. De la Classe 1909 comme Emile ENGEL, ils étaient tous de fidèles supporters du champion cycliste avec lequel ils avaient passé deux ans dans la caserne Friant d’Amiens.

Léon CORNIER, bûcheron à Monsures, dans le sud du département de la Somme a été tué le 8 septembre à Maurupt-le-Montois. Le même jour, Albert PRUVOST, cordier à Ville-le-Marclet dans la vallée de la Nièvre près de Flixecourt est mort de ses blessures à l’ambulance régimentaire. Raymond TRONCHON, zingueur à Amiens, a été gravement blessé dans le village de Maurupt. Guéri, il est retourné au front. Il a été blessé plusieurs fois. Il a été tué le 12 août 1916.

Sur les 3 000 hommes qui composaient le 72e RI au début de la guerre, il n’en reste plus que 800 à la mi-septembre 1914 !

La guerre a lourdement frappé toutes les familles, toutes les communes, tous les sportifs…

Eugène, le frère aîné de la fratrie ENGEL, a été tué à l’ennemi le 28 septembre 1915 dans le Pas-de-Calais. Louis, le seul rescapé des trois garçons, a survécu. Coureur cycliste professionnel, comme Emile, il a eu la chance d’être détaché dès le début de l’année 1916 aux usines Peugeot. Il a poursuivi sa carrière de coureur cycliste après la guerre. Inscrit au départ du Tour de France 1919, il est mis hors délai dès la 3e étape. En 1920, Louis gagne la course Marseille-Lyon ainsi qu’une étape de la Saint-Sébastien-Madrid écrivant ainsi les dernières lignes de son palmarès. Louis ENGEL est mort le 3 octobre 1960 en Seine-et-Oise à l’âge de 74 ans.

Emile ENGEL, à gauche, et François FABER (ce dernier a été tué le 9 mai 1915 à Mont-Saint-Eloi dans le Pas-de-Calais à l’âge de 28 ans)

Le cyclisme a payé un lourd tribut à la Grande Guerre. François FABER, Octave LAPIZE, Lucien PETIT-BRETON, trois champions vainqueurs du Tour de France ont été tués. Plus de 60 coureurs ayant participé à au moins une des douze premières éditions du Tour de France ont également perdu la vie pendant la guerre.

Octave LAPIZE (il est mort le 14 juillet 1917 à Toul)

La carrière d’Emile ENGEL n’en était qu’à ses débuts quand la guerre a été déclarée. Plusieurs journalistes sportifs voyaient en lui un futur vainqueur du Tour de France. D’autres affirmaient qu’il battrait un jour le record de l’heure. La course d’Emile s’est arrêtée définitivement à Maurupt-le-Montois, un jour de septembre 1914, à l’âge de 25 ans.

Le corps d’Emile ENGEL repose vraisemblablement dans l’ossuaire militaire de Maurupt-le-Montois

Didier BOURRY et Xavier BECQUET

Merci à Florence FONTANIVE

Pour approfondir vos connaissances sur les coureurs cyclistes et la Grande Guerre, nous vous conseillons ces sites dont sont issues certaines informations reprises dans notre article :

www.cyclistes-dans-la-grande-guerre.fandom.com/fr  (avec notamment la liste des 594 cyclistes morts pendant la guerre)

www.velo-club.net

Les superbes photos de cyclistes sont extraites de la collection ROL à la Bibliothèque nationale de France (bnf.gallica.fr)

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