ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Que s’est-il passé ?

Né le 14 février 1893, Paul VERDY est le fils d’Auguste VERDY et de Marie DROARD.

Auguste et Marie se marient en juin 1891 à Péronne. Paul est le seul enfant du couple. Auguste et Marie divorcent. Paul ne reverra jamais son père.

Paul VERDY réside avec sa mère à Doingt, dans la Grande Rue. Marie a trouvé refuge chez sa mère et son beau-père.

Doingt est un village dont le territoire touche celui du chef-lieu d’arrondissement qu’est la ville de Péronne. La commune est connue pour son menhir. C’est à Doingt, chez ses grands-parents François et Clémence, que Paul passe toute son enfance. Son grand-père est laitier.

Né le 16 mars 1893, Fernand DUPIRE est le fils d’Henri DUPIRE et de Jeanne GRUSON.

Fernand est leur premier enfant. Une fille prénommée Marguerite naît sept ans plus tard. Il n’y aura pas d’autre enfant.

Henri et Jeanne DUPIRE tiennent un commerce d’épicerie Place du Marché aux Herbes à Péronne. Après avoir été garçon-épicier, Henri est devenu patron. Le commerce prospère rapidement. Plusieurs apprentis épiciers sont logés sur place. Les DUPIRE disposent également d’une employée de maison. Tout en ne reniant pas ses origines modestes, la famille fait partie de la petite bourgeoisie péronnaise. L’avenir de Fernand est tout tracé : quand son père s’estimera trop vieux c’est lui qui reprendra la direction du commerce.

Rien ne prédestinait Paul VERDY et Fernand DUPIRE à devenir des amis. Ils n’avaient pas fréquenté la même école. Ils ne dépendaient pas de la même paroisse. Même si la commune de Doingt est voisine de celle de Péronne, les occasions de se fréquenter, pendant leur jeunesse, avaient été assez rares.

Le 27 novembre 1913, Paul et Fernand prennent le même train, en gare de Péronne-Flamicourt, pour se rendre à Amiens. Ils ont en poche leur bon de transport pour rejoindre la capitale de la Picardie. Paul VERDY et Fernand DUPIRE sont affectés au 72e Régiment d’Infanterie où ils effectueront leur service militaire. Depuis l’été 1913, la durée du service actif est passée à trois années. Paul VERDY et Fernand DUPIRE échangent quelques mots. A l’arrivée à la caserne Friant d’Amiens, s’ils sont plusieurs dizaines à franchir les grilles d’entrée sous le regard du planton, les hommes du canton de Péronne sont très rares. Pour trouver leur place plus facilement dans un contexte qui leur est inconnu, Paul VERDY et Fernand DUPIRE se rapprochent tout naturellement.

La loi des 3 ans a allongé la durée du service actif de 2 à 3 ans. Elle a aussi imposé à la Classe 1913 une mobilisation anticipée. Les menaces de guerre sont réelles. Les jeunes hommes nés en 1893 s’attendaient, après le passage devant le Conseil de Révision au printemps 1913, à être incorporés l’année suivante, comme le voulait la coutume. Or ils sont convoqués 7 semaines seulement après les jeunes hommes de la Classe 1912.

Les appelés du secteur de Péronne sont rares au 72e RI. Les gars du Nord-Est de la Somme sont majoritairement affectés au 120e à la caserne Foy de Péronne ou au 87e Régiment d’Infanterie de Saint-Quentin dans l’Aisne. Paul VERDY et Fernand DUPIRE cherchent des têtes connues dans la fourmilière militaire qu’est la caserne Friant.

Arthur LEFEBVRE et Maurice HADENGUE sont arrivés le 8 octobre dernier. Même s’ils ne sont pas encore considérés comme des anciens, ils connaissent déjà la caserne et peuvent donner des conseils aux nouveaux arrivants. Arthur LEFEBVRE et Maurice HADENGUE résident dans deux villages très proches de la ville de Péronne, au Sud, sur la rive gauche du fleuve Somme. Arthur LEFEBVRE réside à Villers-Carbonnel, au lieu-dit Le Passillon, où son père est débitant et Maurice HADENGUE est originaire d’Eterpigny où son père est instituteur. Les deux garçons travaillent à Péronne. Arthur LEFEBVRE est apprenti-charcutier et Maurice HADENGUE est clerc de notaire chez maître Paul CARON.

Les quatre garçons se connaissent de vue. Ils se sont croisés à plusieurs reprises. Si la commune de Péronne compte près de 5 000 habitants, elle ressemble vraiment à un grand village. A la caserne, les nouveaux arrivés partagent le quotidien des plus anciens. La mixité sociale est incontestable entre les murs d’enceinte de la caserne Friant. Les voies professionnelles de Paul, Fernand, Arthur et Maurice les éloigneront certainement les uns des autres après la « libération » du service militaire, mais pour l’instant, c’est la camaraderie qui domine entre les gars de Péronne…

Huit mois plus tard, le 5 août 1914, le 72e RI quitte le département de la Somme. L’Allemagne a déclaré la guerre à la France. L’Armée décide d’envoyer tous les régiments d’Active à proximité des frontières belge, luxembourgeoise et de l’Alsace-Moselle annexée. Les hommes du 72e RI prennent le train en Gare d’Amiens pour rejoindre le département de la Meuse.

L’épreuve du feu a lieu en Belgique, dans le secteur de Meix-devant-Virton, près de la frontière française les 22 et 23 août 1914. La mission d’arrière-garde du 72e RI lui permet d’éviter le pire. Les pertes sont dérisoires à côté de celles du 120e  de Péronne qui combattait à quelques cinq kilomètres de distance, sur le plateau de Bellefontaine. Plus de 1 000 hommes ont disparu, tués ou blessés aux mains de l’ennemi. Au moins 25 000 Français ont perdu la vie, en quelques heures seulement, le long des frontières. Battant en retraite, les hommes cherchent à savoir si des copains de leur commune, de leur village, sont au nombre des victimes. Les informations non officielles circulent au sein des troupes. Informations vérifiées ou simples rumeurs, on cherche à connaître les noms des disparus. Etaient-ils de la Somme ? De Péronne ? On dit que Lucien POUILLARD de Doingt est mort…  Gaston LELEU de la Rue Crinon à Péronne est déclaré disparu…

C’est la peur au ventre que les rescapés de la Bataille des Frontières se replient vers le Sud. Cette guerre qu’on annonçait de courte durée risque de tourner à la déroute si l’Armée n’arrive pas à se réorganiser. Deux jours plus tard, les hommes des régiments de Picardie atteignent la Meuse dont ils doivent empêcher le franchissement par les troupes allemandes. Près de Stenay, les combats d’Artillerie sont meurtriers. Le 72e RI perd plusieurs dizaines d’hommes. Les quatre copains de Péronne sont en vie. Mais la vision des corps déchiquetés par les obus, hommes et chevaux, laissent des traces indélébiles dans leurs têtes.

Le mois d’août est caniculaire. Le 72e, comme toutes les unités de la Région d’Amiens, doit traverser le département des Ardennes en direction de la Marne. Dans la chaleur orageuse de la fin août 1914, les déplacements à pied sont éreintants. Les hommes sont épuisés. Plusieurs compagnies du 72e participent à des combats près de Buzancy, dans le Sud des Ardennes. Les pertes se comptent par dizaines.

Le 4 septembre, toutes les unités de la Région militaire d’Amiens arrivent dans un secteur entre Vitry-le-François et Bar-le-Duc. Le lendemain, le général Joffre donne l’ordre à toutes les troupes françaises de stopper le repli et de se préparer à attendre l’ennemi. La Bataille de la Marne débutera à l’aube du 6 septembre 1914.

Les combats sont particulièrement meurtriers pour les hommes du 72e RI et ceux du 128e RI d’Abbeville qui combattent à leurs côtés. Preuve de la violence des cinq jours de combats, les villages de Pargny-sur-Saulx et de Maurupt-le-Montois où ils tentent de résister à l’ennemi sont totalement détruits. Les victimes des régiments picards se comptent par centaines dans ces deux villages du Sud de la Marne.

Arthur LEFEBVRE et Maurice HADENGUE sont déclarés disparus.

Le 11 septembre, les rescapés reçoivent l’ordre de se mettre en marche vers le Nord à la poursuite des troupes allemandes. Les survivants sont profondément traumatisés. Comme les autres, Paul VERDY et Fernand DUPIRE cherchent à obtenir des informations sur les disparus. Morts ? Blessés ? Prisonniers ? Quelqu’un les a-t-il vus tomber ? Pour Arthur LEFEBVRE, la mort au combat semble avérée. Au sujet de Maurice HADENGUE, les informations obtenues sont pour le moins troublantes.

Le 6 septembre, premier jour des combats, Maurice HADENGUE a été emmené dans le village de Perthes, quelques kilomètres au Sud des champs de bataille, où s’était installé l’état-major du 2e Corps d’Armée d’Amiens. Le 7 septembre à 10h, un peloton du 9e Bataillon de Chasseurs à Pied qui assurait la garde du poste de commandement est réuni pour remplir une terrible mission. Le 7 septembre 1914 à 10h, Maurice HADENGUE est passé par les armes.  La peine de mort a été appliquée sans aucun jugement, par « décision du général commandant le 2e Corps d’Armée ». Quels en sont les motifs ? Impossible de le savoir. Abandon de poste ? Refus d’obéissance ? Aucun conseil de guerre n’a été réuni. Augustin GERARD, commandant du Corps d’Armée, a ordonné l’exécution du jeune clerc de notaire de Péronne.

Général Augustin GERARD (photo : Wikipedia)

Que s’est-il donc passé le 6 septembre à Pargny-sur-Saulx ? Qu’a fait ou qu’a dit Maurice pour mériter une mort aussi humiliante ? Paul VERDY et Fernand DUPIRE auront toujours cette question en tête.  Maurice HADENGUE était un brave gars. Un bon copain. Un jeune homme intelligent. Que s’est-il passé ?

Mais la guerre continue pour eux. Ils n’ont pas le choix… Paul VERDY est blessé à plusieurs reprises, à la fesse droite et au bras gauche par balles puis au dos, aux bras, aux cuisses par éclats d’obus. Fernand DUPIRE, blessé au bras droit par balle en mai 1915, est finalement jugé « inapte définitivement à faire campagne » le 15 janvier 1918 pour bronchite chronique.

Après la guerre, Paul VERDY revient vivre à Doingt, dans la Grande Rue. Il travaille comme manouvrier pendant de longues années avant de devenir peintre. Paul VERDY est mort à Doingt le 14 juillet 1970.

Fernand DUPIRE prend la direction de l’épicerie de Péronne et succède à son père. Fernand DUPIRE est mort le 11 décembre 1946.

Maurice HADENGUE n’a jamais été déclaré Mort pour la France. Son nom ne figure sur aucun monument aux morts et aucune pension n’a été versé à ses parents. Louis-Emile et Marie, ses parents, n’avaient qu’un enfant. Louis-Emile, instituteur bien connu à Eterpigny et dans le secteur de Péronne, a quitté définitivement la région après la guerre avec son épouse. Comment ces parents détruits par la douleur auraient-ils pu supporter le regard suspicieux de leurs concitoyens ? Ils n’ont jamais connu les réels motifs de la décision prise par le général GERARD. Ils n’ont jamais su pourquoi leur fils unique était mort, fusillé par des Français, un matin de septembre 1914 dans la Marne, à l’âge de 22 ans.

Après avoir reçu la distinction de Grand officier de la Légion d’honneur, Augustin GERARD a été promu à la tête de la 1ère Armée en 1916. En 1919, Georges CLEMENCEAU lui a remis en personne la médaille militaire. Augustin GERARD est mort le 2 novembre 1926 à l’âge de 69 ans.

Xavier BECQUET

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Un commentaire sur « ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Que s’est-il passé ? »

  1. coucou merci beaucoup tres beau reportage comme d habitude juste une question comment ce fait il que sur facebook les photos viennent agrémenter le texte et pas sur les mails merci de votre reponse bonne journée

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