Né le 1er avril 1892, Charles CABOCHE est le fils de Victorine CABOCHE. La naissance de Charles, né de père inconnu, a été déclarée en mairie de Frévent, dans le Pas-de-Calais, par la sage-femme ayant assisté à l’accouchement. Victorine, la jeune maman, n’a que 17 ans.
Quand ses parents quittent le Pas-de-Calais pour la Vallée de la Nièvre dans le département de la Somme peu de temps après la naissance de l’enfant, Victorine les accompagne emmenant avec elle le petit Charles. François CABOCHE, le père de Victorine, se fait embaucher dans l’usine textile Saint Frères de Saint-Ouen. Son épouse y trouve également un emploi d’ouvrière.

A peine installée dans la Somme, la famille connaît un drame. François CABOCHE, le père de Victorine, meurt. Victorine n’a pas 20 ans. Sa maman reste alors restant seule dans la petite maison de cité ouvrière et elle ne peut subvenir aux besoins de sa fille et de son petit-fils. Victorine trouve un mari. Jérémie ANCELIN est fileur à l’usine Saint. Originaire de Saint-Ouen, il a sept ans de plus que Victorine. La famille de Jérémie habite Rue de la Cense à Saint-Ouen. Ses parents travaillent également à l’usine des frères Saint, comme tous les habitants de Saint-Ouen ou presque.

Le mariage est célébré à la mairie de la commune le 11 mai 1895. En épousant la maman, Jérémie a maintenant un fils qu’il considérera et élèvera comme les autres enfants du couple qui viennent peu à peu remplir la petite maison de la Rue des Héritages, à Saint-Ouen. Charles conservera toute sa vie le patronyme de CABOCHE et ses frères et sœurs porteront celui de Jérémie. Ils se nomment Aurélien, Marie, Rosa, Alfreda, Lucienne, Lucien et Georges ANCELIN.

A douze ans, l’aîné de la fratrie doit trouver du travail. Charles entre tout naturellement à l’usine. Il devient fileur, et quelques années plus tard, retordeur.
La famille déménage pour s’installer dans la Cité Saint-Pierre, au Nord-Est de l’usine de Saint-Ouen. Cette cité est une des premières construites dans la commune pour y héberger les ouvriers du textile. Elle se situe à la sortie du village, entre la voie ferrée et la rivière Nièvre, près de la très longue Cité Saint-Jean. C’est Jean-Baptiste Saint, le patron, qui l’a souhaitée. Les maisons mitoyennes, au nombre d’une trentaine, sont alignées et exposées au Sud sur la voie alors que les remises et les jardins potagers se trouvent de l’autre côté de la rue, côté Nord. Les habitants traversent la rue à chaque fois qu’ils veulent aller dans leur jardin ou leur remise. La petite rue Saint-Pierre devient presque une pièce supplémentaire pour ces familles ouvrières. Chaque maison comporte deux pièces au rez-de-chaussée (une cuisine et une salle) et deux chambres à l’étage. C’est le confort !

(Association d’Histoire locale Saint-Ouen son passé – mairie-saint-ouen.com)
A vingt ans, Charles CABOCHE est convoqué à Domart-en-Ponthieu, chef-lieu de canton, pour passer devant le Conseil de révision. Il est jugé apte au service armé et affecté au 128e Régiment d’Infanterie de la Somme. Laissant sa jeune épouse Adolphine LION et leur bébé Marie-Rose, Charles part le 10 octobre 1913 en direction de la gare de Saint-Ouen avec Eugène COFFIN, un copain de la Cité Saint-Pierre qui travaille comme lui à l’usine des frères Saint. Eugène est cordier.

Sur le quai de la gare de Saint-Ouen, ils sont plus de 10 à attendre le train les emmenant vers Abbeville. Ils savent qu’ils vont passer trois années ensemble dans l’enceinte de la caserne Courbet. L’ambiance est plutôt à la rigolade. Ils ont 20 ans et tous ont été affectés au 128e Régiment d’Infanterie.
Ils travaillent presque tous à l’usine Saint et sont, pour la plupart, nés à Saint-Ouen. Il y a Georges FRANCOIS, Alfred HECQUEFEUILLE, Clotaire LOYER, Antony MARQUET, Elvire MINOT, Alfred PELLETIEZ, Emile PITEUX, Jérôme REVET, Julien TESTU… représentant toute une partie de la jeunesse de Saint-Ouen migrant pour trois ans vers la capitale du Ponthieu.

Le 5 août 1914, le 128e RI quitte ses locaux d’Abbeville pour aller dans l’Est de la France, près des frontières qu’il va falloir défendre. L’Allemagne vient de déclarer la guerre. L’ennemi va tenter d’entrer sur le territoire national. Les jeunes qui effectuaient leur service militaire seront les premiers à combattre. L’Armée française les considère comme prêts.
Les premiers combats du 128e RI ont lieu près de Virton au Sud du Luxembourg belge le 22 août, mais c’est surtout neuf jours plus tard à Fontenois dans les Ardennes, que les hommes du régiment subissent les pertes les plus terribles. En quelques heures, des centaines d’hommes sont mis hors combat. Charles CABOCHE est blessé au cuir chevelu par un éclat d’obus. Il est soigné sur place et peut partir avec les hommes encore valides quand l’ordre de retraite est donné, en début d’après-midi. Julien TESTU est plus gravement blessé, tout comme Méderic VASSEUR, un jeune instituteur de Saint-Ouen. Tous les deux sont capturés le lendemain par les Allemands et transférés vers des camps de prisonniers en Allemagne, avec plus de 150 autres blessés.
Quelques jours plus tard, les pertes sont encore nombreuses pour le régiment. Parmi les disparus figure Alfred PELLETIEZ de Saint-Ouen. Il faut attendre plusieurs mois avant de savoir qu’il n’a pas été tué. Capturé à Pargny-sur-Saulx dans la Marne, il est interné en Allemagne.

A la mi-septembre le 128e pénètre dans la forêt d’Argonne, près de Servon. La guerre devient alors une guerre de tranchées, les adversaires campant sur leurs positions.
Le 15 septembre, Charles CABOCHE est à nouveau blessé, mais cette fois-ci plus sévèrement. Une balle dans le coude droit entraîne son évacuation. Le même jour Eugène COFFIN, son copain de la Cité Saint-Pierre, est tué et Jérôme REVET, gravement blessé, est capturé par les Allemands.
Quand Charles CABOCHE, rétabli, revient au front en décembre 1914, deux copains supplémentaires manquent à l’appel. Clotaire LOYER est mort de ses blessures fin octobre et Emile PITEUX a été évacué en raison d’une plaie pénétrante par balle au mollet gauche.
Au printemps 1915, le 128e RI quitte les bois de l’Argonne pour ceux de Woëvre, près de Verdun. Après plusieurs mois de tirs incessants d’artillerie, les arbres deviennent bien rares dans les forêts de l’Est de la France. Les survivants aussi ! Le 25 avril 1915, Charles CABOCHE est encore une fois blessé. Alors qu’il se trouve dans le secteur des Eparges, il est blessé par un éclat d’obus à la nuque. La blessure, bien qu’impressionnante, n’est pas très grave et un mois plus tard, Charles CABOCHE revient au front. En juillet, un éclat d’obus lui transperce le bras gauche alors qu’un autre atteint le thorax. La mort est encore passée très près. L’hospitalisation est plus longue que les fois précédentes mais à la fin de l’année 1915, Charles CABOCHE revient encore au front.

Quand le 128e arrive dans la Somme à l’été 1916 pour participer à l’offensive anglo-française, le terrible décompte des copains de Saint-Ouen mis hors combat augmente encore d’une unité. Elvire MINOT, victime des terribles conditions de vie dans les tranchées, est définitivement réformé pour tuberculose pulmonaire. Un autre gars de Saint-Ouen disparaît des champs de bataille. Antony MARQUET est déclaré déserteur.
Antony, dès son arrivée au service militaire, est déclaré inapte au service armé et donc affecté dans des services auxiliaires du régiment. Il ne voit que d’un œil et ce handicap le rend inapte au combat. L’armement devient une priorité dans une guerre qui s’enlise dans les tranchées. Antony, fort de son expérience d’ouvrier d’usine, est affecté chez Citroën, où on produit maintenant des armes dans les locaux du Quai de Javel à Paris. Quand les gendarmes de Versailles sont allés le chercher à l’usine en février 1916 pour rejoindre le front, Antony a paniqué et a tenté de fuir. Condamné à quatre ans de travaux publics pour désertion, il rejoint tout de même le 128e RI. Mais le 3 août, alors que le régiment s’est installé dans le Sud-Est de la Somme, à quelques dizaines de kilomètres de chez lui, Antony s’enfuit. Dix-sept jours de fuite avant que les gendarmes ne le ramènent auprès des autorités militaires. La sanction est lourde. Antony est condamné par le Conseil de guerre de Chuignolles à une peine de 20 ans de détention. Il est interné à la prison de Clairvaux, dans l’Aube.

Charles CABOCHE continue la guerre, toujours avec son régiment, le 128e, enchaînant les blessures : des égratignures dans la Marne début 1917, la main et le genou droit par éclat d’obus à Douaumont en juillet 1917, la face droite et le thorax à Pasly dans l’Aisne en août 1918.
Quand il est démobilisé le 29 juillet 1919, Charles CABOCHE est en vie. Au vu de ses nombreuses blessures, les séquelles sont finalement peu importantes. Il ne pourra plus jamais plier complètement le bras droit, mais finalement, il s’en sort bien. Nombreux sont ceux qui l’appelleront ensuite « Ch’bros raccourci«
D’autres copains n’ont pas eu cette chance. Alors qu’ils avaient connu l’enfer pendant quatre ans et qu’ils avaient évité la mort, Georges FRANCOIS et Alfred HECQUEFEUILLE sont morts en 1918 dans les derniers combats de la Grande Guerre.

Charles CABOCHE a retrouvé du travail à l’usine Saint puis est devenu cordonnier. Il s’est installé dans la commune voisine avec Adolphine et leur fille Marie-Rose, Rue de Saint-Ouen à Bettencourt. Un garçon prénommé Norbert est né en 1920.
Julien TESTU, Jérôme REVET et Alfred PELLETIEZ sont rentrés de captivité à la fin du mois de janvier 1919. Méderic VASSEUR a été rapatrié quelques jours plus tôt. Après la guerre, le jeune instituteur de Saint-Ouen quitte la métropole pour devenir directeur d’école en Afrique, dans la colonie française du Dahomey.
Quant à Antony MARQUET, il n’a jamais été libéré. Il est mort à la prison de Clairvaux le 3 juin 1919. Contrairement à Eugène COFFIN, Clotaire LOYER, Georges FRANCOIS et Alfred HECQUEFEUILLE, le nom d’Antony MARQUET ne figure pas sur le monument aux morts de Saint-Ouen. Si contrairement à ses copains il n’a pas été reconnu Mort pour la France, il reste toutefois lui aussi, une victime de la Grande Guerre.
Lionel JOLY et Xavier BECQUET




« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme. Jean DELHAYE a réalisé la collecte de données pour la commune de Saint-Ouen.
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formidable resumé sur ces familles que je connais bien ayant vecu a saint ouen de longues annees d ailleurs mon grand pere et ma grand mere resider cité st pierre (charles goudemand et suzanne pringarbe) je vais remonter vos infos !! sur st ouen et faire connaitre votre site merveilleux sur l histoire de la grande guerre. respect a ces hommes a nous le souvenir a eux l immortalité
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Bonjour..tres émouvante cette histoire..la cité st Pierre je la connais bien..mes parents ont habité là bas.mon père a travaillé chez saint frère..et j yai passé toute mon enfance. Maintenant je suis revenue vivre à saint léger les domart cité saint jean non loin de cité saint pierre..j aime retrouvé les histoires d antan…merci.
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Bonjour et merci pour votre message. C’est aussi parce que des lieux comme la Cité Saint-Pierre ont été emplis de vie, que nous souhaitons raconter la vie de ceux qui y vivaient avant la Grande Guerre. L’histoire de ces jeunes qui avaient 20 ans en 1914 n’aurait certainement rien d’extraordinaire, si la guerre n’était pas venue tout remettre en question. Leurs parcours racontent aussi l’histoire de nos villages de la Somme. Merci à vous
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C’est toujours avec beaucoup d’émotions que je découvre les destins souvent tragiques de cette jeunesse picarde.
les textes sont toujours empreints d’une grande humanité malgré le contexte si brutal !!
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