ILS AVAIENT 20 ANS EN 1914 – Achille POIRÉ de Beauval

Né le 31 janvier 1891, Achille POIRÉ est le fils d’Eugène et de Denise.

Eugène est originaire de Beauval et Denise de Beauquesne, village voisin.

Beauval est une ville importante qui compte près de 2 500 habitants en cette fin du XIXe siècle. L’industrie textile a permis à la commune de se développer considérablement. Avant de créer de gigantesques usines textiles dans les vallées de la Nièvre et de la Somme, entre Amiens et Abbeville, c’est à Beauval, ville d’origine de leur famille, que l’aventure des frères Saint a débuté. Au début du XIXe siècle, les trois fils d’un tisserand de Beauval, après s’être associés, avaient créé leur entreprise de toiles d’emballage employant déjà plusieurs centaines de tisserands. Après l’introduction de la fibre de jute en France, vers 1850, ils ont alors transformé leur entreprise pour y produire de la toile de jute et ont créé d’autres fabriques à Flixecourt, à Harondel, à Berteaucourt-les-Dames…

A Beauval, quand Achille POIRÉ vient au monde, tout le monde ou presque, travaille à l’usine Saint. A part pour ses riches carrières d’extraction de phosphates, Beauval est surtout connue comme la commune de l’usine fondatrice de l’empire industriel des frères Saint. Avant la naissance de leur premier enfant prénommé Sylvain, Eugène et Denise POIRÉ  y étaient employés. Cinq autres petits viendront agrandir la fratrie en moins de dix ans. Denise devra attendre longtemps avant de reprendre un travail de tissage à l’usine.

Achille est le deuxième enfant, suivi par Eugène, Jeanne, Marthe et Romain. La famille POIRÉ habite Rue du Boury à Beauval.

Sylvain est né en 1889, Achille en 1891 et Eugène en 1892. Avec aussi peu de différence d’âge, les liens sont donc particulièrement forts entre les trois aînés de la fratrie POIRÉ. Ils sont toujours ensemble. Quand la petite bande des garçons de la Rue du Boury, appelée également Rue de Bas, avec les Eugène JOURDAIN ou les Gaston PODEVIN, se promène dans la commune,  les POIRÉ sont toujours en force.

A l’école, les trois frères POIRÉ sont plutôt de bons élèves. Ils en sortent en sachant lire et écrire. Dans les familles d’ouvriers, on sait à quel point l’instruction est importante. Pour progresser dans l’usine on n’a pas le choix.

Le salaire du père de famille nombreuse qu’est Eugène POIRÉ n’est pas suffisant pour que toutes les bouches puissent se nourrir à satiété. Dès leurs 12 ans, les garçons vont travailler chez Monsieur Charles Saint. Tout d’abord Sylvain, suivi par Achille et Eugène. Les filles suivent le même chemin et quelques années plus tard deviennent fileuses dans l’usine locale de textile.

A Beauval, comme dans toutes les communes où les Saint ont installé des usines, on ne vit que par et pour le textile, quel que soit l’âge.

Sylvain est le premier à partir au service militaire. Il est affecté à Amiens à la 2e Section d’Administration militaire.

A vingt ans révolus, Achille POIRÉ est convoqué pour passer devant le Conseil de Révision de Doullens. Il est jugé apte au service armé et incorporé au 51e Régiment d’Infanterie de Beauvais le 8 octobre 1912. Un an plus tard, il est muté au 2e Régiment Zouave au Maroc.

Le 22 août 1914, moins de trois semaines après la déclaration de guerre, c’est la grande offensive de l’Armée française en Belgique. Le 2e RMZ combat dans le Sud de la Belgique. Pendant la retraite, nommée « réorganisation » par le général Joffre, qu’Achille est déclaré disparu le 28 août 1914 à Dommery dans les Ardennes, au Sud-Ouest de Charleville-Mézières. Il ne participera pas à la victoire d’armée française, dans la Marne, début septembre. Victorieuse mais si meurtrière Bataille de la Marne.

Sylvain, le frère aîné d’Achille effectue le début de la guerre comme infirmier militaire, puis en octobre 1915, il intègre une section de combat au 366e Régiment d’Infanterie. En juin 1916, il est tout d’abord considéré comme disparu dans la Meuse, avant qu’on apprenne, par la Croix Rouge, qu’il est interné en Allemagne à Hammelburg, comme prisonnier de guerre. Il ne sera rapatrié qu’en janvier 1919.

Eugène, le frère cadet d’Achille, ne part pas à la guerre. Il a un pied bot. Exempté à plusieurs reprises, il est finalement mobilisé en octobre 1917. Jugé inapte à l’infanterie en raison de son handicap, il rejoint l’Artillerie et part près du front. Il est démobilisé en août 1919.

Le petit dernier de la fratrie POIRÉ n’a que 14 ans quand la guerre est déclarée en 1914. Il travaille, comme ses frères avant lui, à l’usine Saint de Beauval. La fabrication de sacs de jute devient également une priorité nationale, autant que l’armement. Ces sacs sont notamment utilisés pour consolider les parois des tranchées. En septembre 1918, Romain POIRÉ s’engage dans l’Armée. Peut-il espère-t-il retrouver la trace d’Achille, son frère déclaré disparu depuis août 1914 ?

Engagé volontaire pour 4 années, Romain POIRÉ est affecté au 42e Régiment d’Infanterie. Il n’a pas encore terminé son instruction quand l’Armistice est signé. Romain ne combattra pas. Incorporé ensuite dans l’Artillerie de Campagne d’Afrique, il participe aux opérations du maintien de l’ordre d’après-guerre en Allemagne. C’est près de Wiesbaden que Romain perd la vie dans un accident en août 1919. Intervenue dans un accident « hors service commandé », sa mort ne mérite pas, pour l’Etat français, d’être reconnue « pour la France »…

Quelques mois plus tard, l’information officielle du décès d’Achille, le 28 août 1914 est transmise aux parents POIRÉ. Deux de leurs quatre fils sont morts, Achille à 23 ans et Romain à 19 ans.

Les copains de la Rue du Boury ne sont pas tous revenus non plus. Et pour ceux qui ont survécu, certains sont estropiés ou gazés, et d’autres, peu touchés dans leur intégrité physique, sont profondément marqués psychologiquement. Gaston PODEVIN, infirmier pendant toute la guerre, y compris sur le front d’Orient et pendant l’épidémie de grippe espagnole, a côtoyé quotidiennement l’horreur. A quoi ressemblent ses nuits ? Quel sentiment de culpabilité peut bien habiter Eugène JOURDAIN, capturé dès les premiers jours de la guerre, à Bellefontaine, le 22 août 1914, et interné en Allemagne pendant plus de 4 ans ? Comment ressent-il le regard posé sur lui par ces voisins qui ont perdu un fils au combat ou ces copains qui sont revenus avec une jambe ou un bras en moins alors que lui n’a même pas eu le temps de combattre ?

Les deux frères POIRÉ ont vécu à Beauval après la guerre. Le plus jeune des deux, Eugène, marié avec Angèle Quillet, habitait Rue des Hocdées. Eugène et Angèle étaient employés comme tisserands à l’usine Saint. Ils n’ont pas eu d’enfant.

Sylvain, l’aîné, tisserand également, a épousé Laure Sergeant qui lui a donné cinq petits POIRÉ . La famille habitait Rue Armand Devillers à Beauval. Leur premier garçon a reçu comme prénom celui de son jeune oncle mort au tout début de la Grande Guerre. Un nouvel Achille POIRÉ était né à Beauval !

Le nom d’Achille POIRÉ est gravé sur le monument aux morts de Beauval. Celui de son jeune frère, non mort « en service commandé » n’y figure pas. La paroisse a, heureusement, dépassé toutes ces considérations administratives de la gestion des « bons ou des mauvais morts » de la guerre. Les noms des deux frères sont inscrits sur la plaque commémorative dans l’église Saint-Nicolas. Une église dont la construction a été intégralement financée, à la fin du XIXe siècle, par Charles Saint, le riche industriel du textile, bienfaiteur de la commune de Beauval.

Lionel JOLY et Xavier BECQUET

« De la Somme à Bellefontaine – 22 août 1914 » – recherche collaborative 1891, 1892, 1893 – Département Somme.  Ghislain FRANÇOIS a réalisé la collecte de données pour la commune de Beauval.

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